#restezchezvous. L’injonction du mot-dièse est paradoxale pour les journalistes car le télétravail ne pourra jamais remplacer les contacts, la vérification des sources et la connaissance du terrain. C’est vrai ici mais cela l’est encore plus pour nos consœurs et confrères qui travaillent dans des conditions plus difficiles. Le Covid-19 a non seulement entraîné des restrictions de libertés mais elle a aussi mené à des modifications du travail des journalistes dont il est encore trop tôt pour mesurer l’ampleur.
Quelques tendances peuvent d’ores et déjà se dégager. Economiques, d’abord : même si le public est avide d’informations, le Covid-19 a paralysé des pans entiers de l’économie et fait chuter les revenus publicitaires à tel point que des pays comme le Danemark, l’Autriche et la Suède ont injecté des millions d’euros en « plan de sauvetage des médias» pour compenser ces pertes. Professionnelles, ensuite : d’après une enquête de la Fédération internationale des journalistes menée dans 77 pays, les journalistes ont perdu leurs revenus ou leurs opportunités de travail, beaucoup sont en état de souffrance psychologique et ne bénéficient pas des équipements pour travailler en toute sécurité. Politiques, surtout: les autorités canalisent et restreignent l’accès à l’information. Des journalistes ont été intimidés, agressés, arrêtés ou poursuivis parce qu’ils ne rapportaient pas la version officielle des faits. C’est le cas en Chine bien sûr, où au moins 40 journalistes ont été arrêtés, mais aussi en Indonésie, en Iran, au Brésil, en Inde, au Pakistan, au Venezuela, au Niger, en Thaïlande, en RDC, en Asie centrale…la liste s’allonge tous les jours.
C’est aussi le cas en Europe. La Slovénie et la République tchèque ont ainsi supprimé les conférences de presse sur la gestion de la pandémie. Le Conseil de l’Europe* a relevé qu’en Serbie une journaliste a été accusée de «provoquer la panique et l’agitation » et qu’en Azerbaïdjan pas moins de trois journalistes sont emprisonnés suite à des articles sur le virus. La Russie a ordonné la suppression d’articles en ligne en mars au nom de la « désinformation ». Et que dire de la Hongrie, où Viktor Orbán s’est octroyé les pleins pouvoirs, menaçant les journalistes de poursuites si leur travail n’a pas l’heur de plaire au choix discrétionnaire du pouvoir? En Turquie, des journalistes ont été contraints de révéler leurs sources dans les hôpitaux. Enfin la Biélorussie nage en pleine dystopie avec son indéboulonnable Président Loukachenko qui considère que le virus sera vaincu avec une séance de sauna et 50 grammes de vodka quotidiens (puisse-t-il avoir raison). Circulez, y a rien à voir !
Alors que faire ? Etre solidaires, prendre soin de soi et de ses proches bien sûr. Mais au lendemain de la Journée mondiale de la liberté de la presse il faut avant tout continuer à rester vigilants face à « l’état d’urgence », à la rhétorique de « guerre » et aux effets d’annonce. Faire en sorte que les journalistes remplissent leur mission d’information face à l’infox. Personne ne sait encore comment sera « l’après » mais pour le moment c’est le journalisme déconfiné qui peut sauver des vies.
* Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes : https://www.coe.int/fr/web/media-freedom/home
MARC GRUBER
CHARGÉ DE PROJETS EUROPÉENS EN MÉDIAS,
EXPERT INDÉPENDANT AUPRÈS DU CONSEIL DE L’EUROPE
grubmarc@gmail.com