« Marie, pourquoi as-tu choisi la pige ? » Cette question, je la dois à un collègue en poste, lors d’une journée de vacation en rédaction cet été. Ledit collègue ne comprenant pas pourquoi, je cite, « je me compliquais autant la vie, alors que je pourrais avoir un poste en CDI ». Sur le fond, il n’a pas tort mais voilà, j’ai choisi la pige et j’avoue m’y complaire. Chers collègues au salaire mensualisé, voici ma réponse.

 

Le journalisme à la pige permet de multiplier les collaborations, les formats et les projets. Chez nous, pas de clause d’exclusivité mais une présomption de CDI avec chacune des entreprises pour lesquelles nous travaillons régulièrement. Cela signifie davantage d’expérience et répond à nos envies d’ailleurs… mais attention, enthousiastes, arrêtez-vous là car la pige, c’est d’abord de l’exigence et de la discipline ! Chaque jour, effectuer sa veille de presse, envoyer ses synopsis, écrire ses papiers, tourner ses images… et s’organiser pour intégrer toutes ces tâches dans des journées de 24 heures, en parallèle de nos activités extra-professionnelles et de la vie quotidienne… cela nécessite un minimum de pratique. Sans oublier le suivi des salaires car nous sommes en général payés à la publication et, ô surprise, parfois nos rédactions oublient de s’acquitter du 13e mois ou nous imposent 30% d’abattement sur certaines de nos cotisations sociales que nous avions pourtant refusés, préalablement.

 

Bien sûr, pas de secrétaire pour prendre nos réservations de train ou de collègue pour nous remplacer au pied levé si nous nous fracturons une jambe. En revanche, nous avons l’obligation de mener à bien, en temps et en heure, nos travaux commandés par chaque employeur. Dans le cas contraire, nous prenons le risque de perdre une collaboration. Au sein d’une rédaction, les tâches peuvent être redistribuées quasiment en temps réel ; les pigistes – eux – comptent sur le réseau si un imprévu se présente. Pour gagner en efficacité et éviter l’isolement, nous avons chacun nos trucs et astuces. Au sein des collectifs ou des espaces de coworking, nous pouvons solliciter de l’aide pour la relecture d’un article, un avis sur la pertinence d’un angle ou une paire d’yeux supplémentaire pour décrypter une fiche de paie… Être pigiste, c’est d’abord être réactif et doté d’une réelle capacité d’adaptation. Entre Shiva et le couteau suisse si on veut apporter une touche d’humour à cet édito et dédramatiser le quotidien. La pige oblige à travailler différemment et un bon journaliste n’est pas forcément un bon pigiste.

 

Piger permet de comprendre le sens du mot solidarité. Si des généralités ne sont jamais bonnes, la plupart des pigistes – du moins ceux qui durent – sont à l’écoute et à la disposition de leurs collègues. Outre les groupes de discussion dédiés sur les réseaux sociaux au sein desquels ils s’entraident, le Forum [piges] considéré par beaucoup comme un must, journalistes pigistes de France et de Navarre se retrouvent chaque année lors des 48H de la Pige organisées par l’association nationale Profession : Pigiste. Le paradoxe du pigiste est sa conscience aigüe de faire partie d’un ensemble. Au sein d’une rédaction, vous êtes un membre de l’équipe. Pigiste, vous n’y arriverez pas seul car la charge de travail est trop importante sans un minimum d’organisation, de réseau mais aussi de recul. Raison pour laquelle, nous organisons avec Bénédicte – et depuis décembre 2016 – des Apéros pigistes à Strasbourg, dans le cadre de Profession : Pigiste, l’association que nous représentons et défendons. Sur le modèle de l’auberge espagnole, nous nous retrouvons certains lundis soirs, dans les locaux du Club de la presse Strasbourg Europe qui nous soutient, pour échanger sur des thèmes précis. L’occasion aussi de marteler des vérités de la Palice aux nouveaux et futurs venus sur le marché : la pige n’est pas un statut mais un mode de rémunération. À l’inverse de la plupart des salariés nous ne sommes pas payés en fonction d’un temps de travail mais nous avons la liberté de faire ce que nous aimons.

 

Marie LUFF avec Bénédicte WEISS
Deux journaliste heureuses
Respectivement secrétaire et co-présidente de Profession : Pigiste
aperos.pigistes.strasbourg@gmail.com

Forum Piges

 

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