C’est un grain de sable qui a réussi à gripper le mécanisme de la marche du monde et de nos vies. Trois milliards de personnes sont confinées chez elles, en ce moment. Dont un bon nombre tente de tromper l’ennui entre les devoirs des enfants, le ménage, la cuisine, les séries télés et les infos anxiogènes avalées en boucle. Vidant nos rues, les privant de la frénétique activité humaine. Enrayant aussi les rouages pourtant bien huilés de l’économie mondiale, décriée parfois pour son acharnement à piller et à détruire méthodiquement les ressources de la planète qui l’abrite.
Mais cette dernière a du répondant : une goutte d’urine d’une petite chauve-souris sur l’écaille d’un pangolin, dévorée par un Chinois près de Wuhan, a suffi pour changer le cours de l’Histoire. Car ceux qui considèrent que le XXe siècle est né avec la Première guerre mondiale, diront sans doute, avec le recul, que le XXI e siècle est né avec l’apparition du Coronavirus.
Nombre d’entre nous se sont réveillés un matin de la fin mars, en se disant : « J’ai fait un mauvais rêve, tout ça n’est pas réel .» Avant de se rendre à l’évidence : les hôpitaux sont submergés par les malades, évacués par trains, avions et hélicoptères pour faire de la place à d’autres malades. Tout le monde manque de masques, de gel hydroalcoolique ou encore de respirateurs. Le responsable de SOS Médecin parle de situation de guerre lorsqu’il évoque « notre Vietnam ». Et Libération titrait sur le néologisme «La mélancovid » pour traduire l’angoisse du confiné pour ses proches et pour l’avenir, de la perte de lien social, de repères et de contacts physiques.
Face à cette situation anxiogène, des attitudes héroïques apparaissent : des femmes et des hommes sauvent des vies – en sacrifiant parfois la leur, familiale ou personnelle. D’autres, à EDF où GDF, permettent au plus grand nombre d’avoir chaud en ce printemps capricieux où la bise a fait tomber les fleurs des magnolias – qu’on a vu éclore cette année, le parfum en moins, sur Instagram, plutôt que dans les jardins. D’autres encore nous permettent de nous approvisionner en denrées alimentaires ou récoltent nos déchets. Ils sont à l’œuvre pour éviter le chaos : que la chaîne alimentaire ne se grippe. Churchill disait qu’ « entre la civilisation et la barbarie, il y a (seulement) cinq repas »…
Quant à nous, journalistes, cette crise sanitaire atteint aussi nos organes de production de l’info. Entre malades et gardes d’enfants, les rédactions sont dépeuplées. Les reporters sont masqués ou font du télétravail, comme les éditeurs. Et les journaux sortent à la télévision, à la radio, sur le web et sur le papier. Nos lecteurs, auditeurs et spectateurs, nous en remercient chaque jour. Plus que jamais, nous sommes leurs « historiens du présent », dont le rôle est d’être les témoins du réel que nous percevons sur le terrain. De manière à ne pas laisser des « monstres » surgir dans « ce clair-obscur », lorsque « le vieux monde se meurt » et que « le nouveau est lent à apparaître », comme l’expliquait Gramsci, avant l’émergence du fascisme en Italie.
Dans l’adversité, une solidarité a germé dans les rédactions : l’humain transparaît à travers les réunions Skype. Tout le monde est mobilisé, sans feinte et sans effort. Cette crise marquera profondément notre façon de travailler et de vivre ensemble. De distinguer plus clairement l’essentiel, de l’accessoire. Masqués certes, sans contact peut-être, mais en continuant à tisser ensemble le fil de l’information.
PHILIPPE DOSSMANN
JOURNALISTE REPORTER
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