Imaginez un monde où les faits ne sont plus des repères, mais des opinions. Où la vérité n’est plus une quête collective, mais un menu à la carte, adapté à nos convictions. Bienvenue dans l’ère de la post-vérité, un terrain glissant où les réseaux sociaux, ces miroirs déformants de nos sociétés, jouent le rôle de caisses de résonance pour nos peurs, nos colères et nos certitudes. La question n’est plus « Qu’est-ce qui est vrai ? », mais « Quelle vérité me convient ? ».

La mécanique de l’illusion

Les plateformes numériques ont révolutionné notre rapport à l’information. Elles ne se contentent plus de la diffuser : elles la façonnent. Algorithmes et bulles de filtres ont pour logique de nous enfermer dans des réalités parallèles, où chaque clic renforce nos préjugés et où l’émotion l’emporte sur l’analyse. Un exemple frappant ? Ces dernières semaines, la ligne Marseille–Nice exploitée depuis l’été par Transdev est devenue le symbole d’une bataille de perceptions. D’un côté, des usagers excédés dénoncent des retards à répétition et des trains bondés ; de l’autre, l’entreprise brandit un taux de ponctualité officiel de 95 %. Qui croire ? La réponse est moins dans les chiffres que dans le phénomène qui les dépasse : la post-vérité. Ici, les faits importent moins que ce qu’on choisit d’y voir. Les associations parlent de « désinformation », Transdev de « contre-vérités ». Le débat n’est plus une confrontation d’arguments, mais un choc de narrations.

Pourquoi les réseaux sociaux adorent la discorde

Le modèle économique des géants du numérique repose sur une ressource précieuse : notre attention. Or, rien ne la captive mieux que le scandale, la polémique ou la confirmation de nos biais. Les contenus qui divisent, qui choquent ou qui flattent nos convictions retiennent nos yeux plus longtemps. Résultat : les plateformes amplifient ce qui clive, au détriment de ce qui unit. Les bulles d’opinions remplacent le débat, et la nuance s’efface au profit du sensationnel. Nous vivons dans des mondes personnalisés, où tout semble confirmer ce que nous croyons déjà. La désinformation n’est plus un bug, mais une option intégrée.

Et si le vrai débat commençait par écouter ?

Face à cette fragmentation, une question s’impose : peut-on encore discuter sans s’entretuer ? La solution ne réside pas dans la quête impossible d’une vérité absolue, mais dans la manière dont nous échangeons. Écouter sans juger, accepter que l’autre puisse détenir une part de raison, reconnaître que nos certitudes ont des limites… Voici les fondations d’un dialogue apaisé. À l’aune des enjeux actuels (Géopolitiques, Politiques et économiques, …) l’enjeu n’est pas seulement de démêler le vrai du faux, mais de réapprendre à débattre. Pas pour avoir raison, mais pour comprendre. Pas pour convaincre, mais pour avancer.

Le cas Transdev est révélateur d’une époque où même les institutions peinent à convaincre. Les chiffres ne suffisent plus ; les autorités ne font plus autorité. Dans ce paysage, la méfiance devient la norme, et le terme « fake news » s’efface au profit d’une notion plus insidieuse : celle de « versions ». On ne ment plus, on interprète. On ne cherche plus la vérité, on sélectionne celle qui nous arrange.

Cette impasse n’est pas une fatalité.

À titre individuel, cultivons un esprit critique aiguisé : vérifions encore plus nos sources, croisons les informations, refusons les raccourcis émotionnels. La vérité n’est pas une opinion, mais le fruit d’un travail rigoureux. Collectivement, redonnons sa place au temps long : replaçons les agoras modernes — débats publics, médias responsables, espaces de dialogue — au cœur de notre société. Les désaccords existent, mais ils doivent servir le bien commun, pas les intérêts particuliers. Le consensus n’est pas l’unanimité ; c’est la recherche d’un terrain partagé, malgré les divergences.

La post-vérité n’est pas une loi de la nature. C’est le résultat de nos renoncements. À nous de décider : continuons-nous à nous enfermer dans nos bulles, ou choisissons-nous de reconstruire, pas à pas, une culture du débat ?

Aurélien Weisrock
Co-dirigeant de l’agence Dagré
Vice-président du Club de la presse Strasbourg Europe
aurelien.weisrock@dagre.fr

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