En 1979, lors de l’émission « Les dossiers de l’écran », Haroun Tazieff, célèbre vulcanologue français, décrivait de façon prophétique la mécanique du réchauffement climatique qui allait entraîner la fonte des glaces des pôles, générant ainsi une augmentation du niveau des océans et une inéluctable catastrophe écologique.

Le commandant Cousteau, explorateur océanographe français de renommée mondiale, lui répondait : « c’est que du baratin ! »

Quant au journaliste qui animait le débat, il concluait en reprochant à Haroun Tazieff de vouloir affoler les populations.

Cet extrait d’une émission phare à l’époque résume des années d’errance, d’attentisme et d’espoirs déçus dans les solutions technologiques. L’homme a continué à surexploiter les ressources de la planète avec les conséquences que l’on connaît et que seuls les complotistes d’aujourd’hui refusent de voir.

Pourtant, nous sommes de plus en plus de citoyens à agir, à pousser les politiques à prendre des décisions et à obliger les entreprises à devenir plus vertueuses.

Hélas, les calendriers démocratiques conduisent à des politiques court-termistes et les régimes autoritaires sont peu préoccupés par le bien-être de leurs concitoyens et celui de la planète.

Les entreprises privilégient elles aussi le court terme et rechignent à mettre en place des stratégies contraignantes mais efficaces.

Quant à nous, simples citoyens, nous sommes soumis à des injonctions contradictoires. Un seul exemple : on nous dit de privilégier le train plutôt que l’avion. Or, ce dernier est moitié moins cher que le train sur les lignes intérieures françaises. Comment fait-on en période de tension sur notre pouvoir d’achat ? C’est l’arbitrage entre « fin du monde et fin du mois ». Des exemples comme celui-ci, il y en a malheureusement pléthore.

Mais nous voyons de nouveaux comportements émerger. Ceux qui consistent à définir le nombre maximum de tonnes de  CO2 que l’on s’autorise à émettre par an (les émissions moyennes d’un Français, selon l’Ademe, sont de 10 tonnes/an environ).

Ainsi, l’athlète Andy Symonds a refusé de participer en 2022 aux championnats du monde de trail en Thaïlande car son score carbone était déjà trop élevé avant son voyage. Alors qu’il avait toutes ses chances de gagner.

Mais refuser de voyager quand on l’a déjà fait à maintes reprises est plus facile que quand on ne l’a jamais fait. Comment s’ouvrir aux autres cultures si l’on est condamné à rester chez soi ? Doit-on aller uniquement dans des destinations accessibles en train ? Ne risquons-nous pas de nous replier sur nous même, de nous fermer aux autres ? Ou alors, pour aller vers l’autre, devrons-nous le faire dans le métavers ?

Cependant, nous devons prendre des décisions. Et ce, en fonction d’éléments qui vont nous obliger à accepter de perdre. Quand nous avons été éduqués à avoir toujours plus, à aller plus vite, plus loin, à avoir plus beau, plus, plus, plus…. perdre n’est pas naturel.

Mais aujourd’hui un nouveau discours se fait jour. Celui sur l’Utilité.

On nous décrit le monde de demain comme un monde où il faudra produire utile, consommer utile, s’habiller utile, voyager utile, travailler dans une entreprise utile… et tout ce qui n’est pas utile devra être abandonné.

Ce discours, simple à comprendre, surtout face à des concepts de neutralité carbone, de transition énergétique, d’usage plutôt que de propriété, est dangereux car il est simpliste.

En effet, qui va décider de ce qui est utile ? Un « gouvernement » mondial de sages ne fonctionnant et décidant qu’en fonction d’une éthique prédéfinie et acceptée par tous et dans tous les pays ? Cela semble utopique. Et si ce n’est pas cela, alors qui décidera ? Un individu ? Un parti ? Des citoyens autoproclamés « éclairés » ? Et puis, « utile » pour qui, pour quoi ? Ce qui est inutile pour un Français ou un Européen l’est-il pour un Sud-Américain, un Africain, un Asiatique ? Selon nos cultures, nos religions, notre éducation, notre niveau de développement, nous n’aurons évidemment pas la même définition de l’utile.

Sous couvert d’utilité ou d’inutilité, ne risque-t-on pas de voir des comportements extrêmes voire totalitaristes émerger ? Sommes-nous prêts à accepter que l’on nous impose un monde et une vie soi-disant utiles ? Car nous avons aussi besoin de joie, de bonheur, d’amour, d’optimisme pour avoir envie d’agir. Ne dit-on pas joindre l’utile à l’agréable ?

Et, In fine, l’espèce humaine est-elle utile à la planète ?

Ah, au fait, nous fêtons le 22 avril le 53e  anniversaire du jour de la Terre ! C’est le moment de prendre conscience que nous devrions célébrer la terre tous les jours car le temps perdu ne se rattrape plus. Agir n’est plus une option, surtout si nous voulons éviter que l’on nous impose un monde effrayant.

Et que, plus jamais, on ne nous dise : « Tout ça, c’est que du baratin ! »

Jean Dagré
Fondateur – Bilobay
jean.dagre@bilobay.com

 

 

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