Je fais défiler les pages de médias sociaux de mes amis ukrainiens travaillant dans le journalisme et la communication et je réalise à quel point notre contenu a changé au cours de cette année. Ceux qui publiaient sur la mode et les technologies écrivent maintenant sur l’histoire ukrainienne et la guerre. Nous sommes tous unis dans la mission de parler de ce qui se passe dans notre pays tout en apprenant davantage sur nos racines.

 

Lorsque je travaillais pour une chaîne de télévision, le pire que j’avais vu étaient des incendies, des explosions, des protestations. Je me souviens d`une série d’explosions aléatoires et de mes courageux collègues qui la filmaient. Nous retenions notre souffle quand ils étaient dehors et priions pour que les explosions ne les atteignent pas. Plus tard, nous les avons glorifiés en tant que héros. En revanche, il n’était pas du tout effrayant de filmer les révolutions. Cela ne ressemblait même pas à du travail, mais plutôt à une participation à la transformation démocratique de chez moi, de mon pays. Il était naturel d’être dans la rue à l’époque.

 

La guerre a eu un effet différent – stressant. J’étais paralysée par la peur. Pendant un certain temps, cela m’a fait me sentir impuissante. J’ai également vu comment les gens que j’ai rencontrés dans les rues, dans les transports en commun, à la gare, dans la file d’attente pour la frontière de l’UE se sentaient ahuris et incapables de faire quoi que ce soit. Pour me débarrasser de cette sensation d’engourdissement, j’ai commencé à tenir le journal de guerre. Cela m’a également aidée à gérer physiologiquement tout le voyage d’évacuation. J’ai écrit un reportage en chemin, je l’ai pris plus comme un travail. Parce que en tant qu’être humain et en tant qu’ukrainienne, je me brisais en morceaux de colère et de peur. J’ai vu des signes de guerre dans chaque village sur le chemin de la frontière, dans chaque station-service que nous avons traversée, dans chaque famille que nous avons rencontrée, dans les intentions des hommes et des femmes qui se préparaient à se battre pour leur foyer.

 

Avant 2022, il n’y avait pas autant de journalistes en Ukraine ayant une expérience de travail dans des conditions de guerre. J’ai vérifié quelques titres aujourd’hui. L’Officielle Ukraine: Les circonstances dans lesquelles les femmes ukrainiennes accouchent pendant la guerre. Elle: Le portrait de la nation: guide des articles les plus intéressants et importants sur l’histoire et la culture ukrainiennes. Vogue Ukraine: Les scientifiques ukrainiens que le monde devrait connaître. Ils écrivent également des histoires sur les femmes et les hommes sur la ligne de front, que faire en cas d’agression sexuelle et couvrent les actualités.

 

J’ai travaillé pour BBC Ukraine et j’ai appris l’éthique. Après les images du massacre de Boutcha en mars de l’année dernière et tout ce qui s’est passé par la suite, la vision du contenu graphique dans les médias devrait être révisée à l’échelle mondiale. Les médias internationaux et les médias sociaux publient du contenu graphique de l’Ukraine car c’est le visage de la guerre. Les médias sociaux le couvrent en tant que « contenu sensible » et nous appuyons toujours sur « Afficher quand même ».

 

Le contenu sensible est devenu notre réalité quotidienne, car ces personnes des pages des médias étrangers sont des parents de nos proches, des amis de nos amis. Les soldats avec toutes leurs blessures, les volontaires, les travailleurs des services d’urgence, les médecins, les personnes qui aident à nettoyer les décombres après une explosion dans un immeuble d’habitation. Ce sont maintenant les personnes dont les entreprises et les médias sont désireux de parler. Ils sauvent nos vies. Littéralement. Et les nouvelles normes disent qu’il serait contraire à l’éthique de ne pas en parler.

 

De nos jours, les entreprises deviennent également des médias. En utilisant leurs médias sociaux et d’autres canaux de communication, ils parlent de la guerre. Les agences de marketing achètent des espaces publicitaires et y placent des visuels de l’Ukraine. Nous appelons tout cela « la ligne de front de l’information ». Et oui, la priorité est de contrer la propagande offensive russe et les récits russes qui depuis des décennies, voire des siècles, visent à effacer tout ce qui est ukrainien, à faire de l’Ukraine une terre sans visage. Nous avons un visage cependant. Et par la plus grande injustice, la guerre est devenue une raison de le regarder de plus près.

 

Oleksandra Marchenko
al.marchenko@gmail.com

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