La pandémie de Covid-19 appartiendra à la mémoire collective. Les photographes ont contribué à l’illustrer en montrant les nombreux aspects de ce virus et de ses impressionnantes conséquences. Comment ont-ils travaillé ?
Pascal Bastien, Divergences
Christian Hartmann, Thomson Reuters, et
Nicolas Rosès, photographe indépendant, ont accepté de répondre à nos questions :

 

Comment avez-vous réagi à l’annonce du confinement ?

Pascal Bastien : Je m’y attendais depuis quelques jours, à Mulhouse les écoles étaient déjà fermées depuis une semaine, puis il y a eu la fermeture des lieux publics le samedi, cela s’imposait.

 

Christian Hartmann : Immédiatement deux sujets se sont imposés: le confinement lui même et d’autre part la couverture d’une crise majeure et sans précédent. Une crise totalement inédite pour nous aussi. Nous sommes préparés pour beaucoup de crises, pas celle-ci. C’est aussi la première fois qu’en spectateurs impuissants nous assistons à l’arrivée d’une catastrophe, qui potentiellement peut nous impacter nous et nos familles. Cette fois-ci personne ne s’est déplacé pour se rapprocher des zones touchées dans le monde. Cette crise est tout simplement venue à nous.

 

Nicolas Rosès : Les infos provenant des pays gravement touchés par le covid 19, les avis du corps médical et les rumeurs provenant des institutions, laissaient penser que le confinement était inévitable. Quelques jours auparavant, ma réaction a donc été d’accepter la décision, puis rapidement m’organiser pour couvrir l’actualité.

 

Comment s’est organisé votre travail ? Vos relations avec vos clients/votre agence ?

PB : Il a fallu que les entreprises de presse s’organisent en interne, les éditeurs photo avec qui je travaille étaient aussi confinés, les premiers jours était assez flous. De mon coté tout s’est arrêté pendant une semaine, puis les sujets ont repris. Sur les 2 mois de confinement, je n’ai pratiquement travaillé que pour des quotidiens et un hebdo.

 

CH : Quelques jours avant l’annonce de confinement, Reuters avait pris des mesures. Mise en place de télétravail, accès impossible dans les bureaux parisiens pour éviter de nous contaminer entre nous si un journaliste tombe malade et, lentement, dotations en matériels de protection. Des dotations rares puisque nous n’avions que quelque masques et qu’il fallait donc réfléchir deux fois avant d’en utiliser un. Le sujet est-il vraiment nécessaire, pouvons nous le couvrir en toute sécurité!?

 

La sécurité est pour nous l’élément central. Il faut tout faire pour éviter de nous contaminer de et contaminer nos proches. Nous avons donc restreint les sujets de contact au minimum pour laisser aux photographes le temps de se décontaminer, une opération qui peut prendre une bonne heure et qui exige de respecter des procédures strictes et contraignantes pour minimiser le risque.

 

Nos clients qui eux aussi subissaient la crise etaient très demandeurs. Le crise est mondiale mais on illustre les sujets français avec des images de France.

 

NR : Ce fut un travail solitaire dans un mode inédit. Entre les revues de presse et les appels téléphoniques, j’organisais mes journées pour couvrir différents sujets en relation avec la crise sanitaire. Les agences de presse ont émis quelques demandes mais j’ai eu une liberté totale pour choisir mes sujets. L’ensemble de mes autres missions (hors presse) se sont totalement arrêtées peu avant le confinement.

 

Les visites de presse officielles organisées pendant le confinement ont été très encadrées, quelle était votre marge de manœuvre ?

PB : Je n’ai participé à aucune d’entre elles.

 

CH : Les visites officielles étaient presque nulles, seuls quelques déplacements du président. Toujours un pool, un photographe qui couvre et dont l’agence redistribue. Un système qui ne permet à personne d’avoir une production différenciée mais qui demeure dans ce cas compréhensible au vu des mesures en place.

 

En fait le plus gros changement est qu’il n’y avait plus aucun événement programmé, aucune invitation, aucune visite sur le terrain. Une bonne nouvelle en somme puisque cette situation imposait à tous de revenir à l’essentiel: les contacts. Appeler, parler, comprendre, convaincre aussi pour obtenir des accès. A la sortie on a bien souvent eu plus de temps et parfois moins de pression que d’habitude. De très rares sujets se sont traités en présence de nos concurrents et néanmoins amis.

 

NR : Dès le 17 mars, je n’ai plus reçu aucune invitation officielle, uniquement des communiqués, des comptes rendus. Aucune invitation ne m’a donc permis de couvrir officiellement l’actualité. Ma marge de manoeuvre a donc été celle que je me suis octroyée.

 

Que retenez-vous de cette expérience dans la pratique de votre métier ?

PB : Le plus délicat était d’évaluer le risque encouru, il était invisible. Cela m’a rappelé mon reportage sur le tsunami au Japon et le risque de contamination de la centrale de Fukushima, mon seul masque que j’avais chez moi était d’ailleurs un masque japonais de l’époque.

 

CH : Plus qu’en enseignement, un rappel. Les bases de notre métier sont le contact. Aller chercher les sujets et ne pas attendre d’être invité.

 

NR : Cette situation inédite a déclenché par moment des difficultés à exercer mon job de journaliste indépendant. Il a fallu faire preuve d’imagination pour couvrir l’actualité et rappeler parfois … la liberté de la presse. Cette expérience a laissé apparaitre des défaillances inacceptables, qu’il faudrait solutionner dans de nouvelles crises.

 

Racontez-nous une prise de vue qui vous a particulièrement marquée.

PB : Le 26 mars j’ai effectué une journée de prise de vue pour le magazine Society dans Strasbourg, sur les personnes qui continuaient à travailler, c’est la première fois que je traversais la ville de long en large, c’était vraiment désert et assez impressionnant, puis aller à la rencontre de toutes les personnes qui se démenaient pour que nous puissions rester chez nous était un contraste vraiment saisissant.

 

CH : Difficile d’en raconter une seule. J’ai vécu cette période à Strasbourg, opérant dans les départements alsaciens et en Moselle. Je retiens les regards, des regards bienveillants, heureux et fiers de nous voir aussi, des regards fiers de montrer leur mission au service des autres. Des regards de pompiers, de médecins, d’infirmiers, d’équipages d’hélicoptères, de commerçants, d’employés de sociétés de nettoyage. J’oublie beaucoup de professions mais derrière leurs masques ces regards sont ceux de ces héros du quotidien que j’ai croisé. Ils étaient là, comme bien avant la crise, comme maintenant et après, mais là on est allé à leur rencontre, et cette rencontre fait beaucoup de bien.

 

NR : Une seule prise de vue… c’est difficile. En voici deux :

Clinique de l’Orangerie Strasbourg, en service Covid19 : Je photographie un personnel soignant qui pose sa main sur celle d’un patient en réanimation. Cet instant est probablement le plus fort durant cette période de crise, un geste discret qui résume l’essentiel.

 

Le pont de l’Europe sur le Rhin, vide, désert : Un symbole fort, seul au milieu de ce pont qui relie deux nations amies. Le silence… ou juste le chant des oiseaux. Ce lieu résonne avec le Parlement Européen, l’Europe était à l’arrêt pour une durée indéterminée.

 

Propos recueillis par Anka Wessang

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