Une semaine après le tremblement de terre qui a ravagé le sud-ouest d’Haïti, Frantz Duval, rédacteur en chef du quotidien Le Nouvelliste répond à nos questions sur la situation dans le pays, la gestion de cette nouvelle crise et la liberté de la presse.

Quel est votre état d’esprit, 1 semaine après le tremblement de terre qui a ravagé le sud-ouest d’Haïti ?

Frantz Duval : Un genou à terre, comme tous les Haïtiens, je me relève, accablé par l’ampleur des pertes en vies humaines et la destruction des biens de communautés déjà très précaires et très ému par le sort de tous ces frères et compatriotes plus atteints qui doivent enterrer un proche, chercher des soins, bricoler un abri…

 

Nous sommes tous en Haïti dans le combat permanent pour donner sens à la vie. C’était le cas avant, pendant et après le séisme.  Les Haïtiens vivent et luttent pour vivre, comme a écrit le poète

 

Une nouvelle fois le peuple haïtien fait face et se mobilise pour les sinistrés. Une singularité haïtienne ?

Frantz Duval : Pas particulièrement. C’est une qualité que tout le genre humain partage. Ceux qui sont frappés par les catastrophes naturelles plus souvent que les autres développent une certaine aptitude à se relever plus vite. Pas plus. En Haïti, cyclones, séismes, mauvaise gestion de la chose publique et instabilité politique, nous projettent plus souvent que d’autres dans l’actualité.

 

Nous n’avons aucune qualité particulière pour survivre.

 

Plusieurs pays ont annoncé l’envoi d’une aide d’urgence. Voyez-vous ces renforts arrivés ? Comment mieux vous aider ?

Frantz Duval : Une semaine après le séisme, l’aide arrive. Nous sommes dans les délais normaux d’une réponse mondiale à un phénomène inattendu.

 

Mais les Haïtiens n’ont pas attendu. Ils se sont mis disponibles pour leurs voisins et leurs amis dans les secondes qui ont suivi le séisme. On se projette déjà dans l’après. L’aide internationale est attendue mais elle ne pourra pas tout résoudre.

 

Dans votre éditorial du 16 août 2021, vous écrivez « Le pays, depuis 2008, enchaîne ouragan, séisme, élections contestées, gestion calamiteuse, désastres et gouvernance défaillante. Sans arrêt. Les Haïtiens n’arrivent pas à convertir en opportunité les problèmes auxquels le pays est confronté ; la communauté internationale ne parvient pas à transformer en réalité ses vœux et ses projections. Entre petites corruptions locales et grandes complicités internationales, les milliards ne font que passer en orbite autour des problèmes d’Haïti». Le 17 août, l’UE a débloqué une aide humanitaire d’un montant de 3 millions d’euros pour Haïti. Ces fonds seront mis à disposition des « partenaires humanitaires déjà actifs » dans la région, est-ce une garantie pour leur bonne affectation ?

Frantz Duval : Le choix de privilégier des « partenaires humanitaires déjà actifs » est une bonne décision. En 2010, beaucoup d’ONG sont arrivées sans aucune connaissance du pays. Il y a eu beaucoup de gaspillage.

 

Passer par des « partenaires humanitaires déjà actifs » est nécessaire mais pas suffisant car, encore une fois, une catastrophe survient en Haïti et le gouvernement est faible.

 

Le séisme du 12 janvier 2010 avait décapité l’administration et l’État. Haïti a reçu l’aide sans être capable de dire son mot.

 

Le président d’Haïti, Jovenel Moïse, a été assassiné le 7 juillet 2021. Ce crime est intervenu dans un climat politique et sécuritaire très dégradé. Le gouvernement sera-t-il en capacité de gérer cette nouvelle crise ?

Frantz Duval : Le gouvernement va devoir faire de son mieux. Porter assistance en cas de catastrophe est une course contre la montre. On ne peut pas s’arrêter pour planifier. Il fallait le faire avant.

 

Cette fois, le président Jovenel Moïse a été assassiné le 7 juillet, le premier ministre en poste a pris ses fonctions le 20 juillet, le séisme a eu lieu le 14 août. Toutes les institutions de la République avaient été affaiblies par la gouvernance des derniers mois du président Moïse. L’État se retrouve encore une fois faible, pendant que le pays doit faire face à une catastrophe majeure.

 

On ne peut pas espérer une bonne gestion de l’aide avec des institutions haïtiennes faibles.

 

Encore une fois, la tentation de vouloir contrôler l’aide va se heurter à la réalité des capacités réelles du gouvernement haïtien. Haïti va devoir faire confiance à la bonne foi de ses bons samaritains.

 

Votre journal Le Nouvelliste est le plus ancien d’Haïti, il a été fondé en 1898. Quel est aujourd’hui votre modèle économique et votre mode de diffusion ? Avez-vous été impacté par ce séisme dans votre travail ?*

Frantz Duval : Le Nouvelliste vit de ses restes. Le journal tel qu’il a été pendant plus d’un siècle est, peut-être à ses dernières années. Nous avons toujours été un journal imprimé par nos presses et délivré à domicile à nos abonnés. Ce modèle s’évapore.

 

De plus en plus, nos lecteurs passent par le site et les réseaux sociaux pour lire nos articles. Tout est encore gratuit sur internet. Le modèle historique est mis à mal.

Il y a quelque chose à réinventer.

 

Nous avons toujours le plus grand bassin de lecteurs du pays sur papier, Facebook, Twitter et Instagram avec Le Nouvelliste et son autre publication Ticket Magazine mais il est impossible pour le moment de monétiser l’audience dans un pays ou les droits d’auteurs n’existent pas.

 

Les marques Le Nouvelliste et Ticket Magazine sont puissantes mais le modèle économique est à inventer.

 

Comment se portent les médias et la liberté de la presse en Haïti ?

Frantz Duval : Les médias sont dans une mauvaise passe parce que l’économie haïtienne décline depuis 2014. Il y a des secteurs entiers qui ne font plus de publicité en Haïti et les médias ne vivent que de la publicité dans un pays où les aides à la presse n’existent pas.

 

Cela va mal aussi parce que les gouvernements successifs ont distribué des licences radio et télévision dans des proportions qui ne permettent pas aujourd’hui de faire le décompte exact du secteur (entre 600 et 900 radios et télévisions pour 12 millions d’habitants).

 

La concurrence est rude et l’assiette publicitaire se réduit d’année en année. L’émergence des réseaux sociaux pose aussi le problème de l’accès direct des annonceurs à leurs potentiels clients. Les médias ont du mal à bien évoluer et pourtant tous les mois il s’en crée de nouveaux.

Pour la liberté de la presse, il y a des meurtres de journalistes, des attaques contre des médias, des difficultés d’accès à l’information dans certains secteurs.

Ce n’est pas facile tous les jours, mais les journalistes, comme la majorité des Haïtiens, luttent contre les problèmes ambiants et vivent avec au quotidien.**

 

* Après le séisme dévastateur du 12 janvier 2010, le plus ancien quotidien du pays avait dû renoncer à utiliser le papier pour informer ses lecteurs.

 

** HAÏTI : Un environnement de travail dangereux et précaire
Malgré la récente évolution des lois relatives à la liberté de la presse, les journalistes haïtiens sont toujours victimes d’un cruel manque de ressources financières, de l’absence de soutien de la part des institutions et d’un accès difficile à l’information. Les médias privés, très liés aux intérêts de leurs actionnaires, peinent à exprimer leurs points de vue sans autocensure. En 2017, un projet de loi sur la diffamation a été voté au Sénat, prévoyant de lourdes sanctions contre les journalistes.
Depuis 2018, les protestations, souvent violentes, se multiplient à travers le pays contre le président Jovenel Moïse, empêtré dans des affaires de corruption. L’assassinat du journaliste Néhémie Joseph (2019) et la disparition du photoreporter Vladjimir Legagneur (2018), alors qu’il réalisait un reportage dans un quartier sensible, ont profondément choqué le pays.
Dans ce contexte, les intimidations et les attaques violentes perpétrées par les forces de l’ordre et par les manifestants contre les journalistes se sont multipliées ces dernières années, rendant la profession toujours plus vulnérable et stigmatisée. – RSF – Classement mondial de la liberté de la presse 2021

 

>> Sur le site www.lenouvelliste.com lisez la version .pdf du journal quotidien pour suivre l’actualité haïtienne.

Frantz Duval est aussi directeur de Ticket Magazine et www.magik9haiti.com

@Frantzduval

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