Hervé Asquin, directeur du bureau de l’AFP à Strasbourg a couvert les opérations militaires et les rencontres politiques en Afghanistan de 2006 à 2010.

Il est l’auteur d’un livre au titre prémonitoire : « La guerre la plus longue. L’Occident dans le piège afghan » – édition Calmann Lévy, 2013. Pour lui « La guerre menée en Afghanistan par les Américains et leurs alliés est un immense gâchis. Elle n’a pas permis de reconstruire le pays et d’apporter un début de solution à ses immenses problèmes, entre terrorisme, rivalités ethnico-tribales, pauvreté, corruption… »

 

 

Avez-vous été surpris de la rapidité avec laquelle les talibans sont redevenus les maîtres de l’Afghanistan ?

Les structures politiques et les forces de sécurité afghanes se sont effectivement effondrées comme un château de cartes. Mais cet effondrement en lui-même n’est pas une surprise. La police afghane était une chimère, de pauvres hères que l’on avait jetés dans les rues avec une arme à la main mais sans aucune formation pour la plupart. Quant à l’armée, elle souffrait de mille maux : désertions massives, illettrisme, trafics de drogue, népotisme… Les forces américaines et alliées avaient engagé une gigantesque opération de formation de ces soldats afghans dès les premières années de leur intervention. Elle s’est prolongée jusqu’au bout. Mais, pour toutes les raisons déjà évoquées, elle était vouée à l’échec. Depuis deux décennies, tous les rapports du Sénat américain, du département d’Etat, du Pentagone ou de l’inspection générale spécialement créée aux Etats-Unis pour suivre les efforts de nation building tiraient la sonnette d’alarme. Et ces derniers mois encore, les voyants étaient au rouge écarlate.

 

Mon livre racontait tout cela en 2013. Et ce qui est frappant, c’est que rien n’avait vraiment changé depuis. L’Occident a commis la même erreur que les Soviétiques en leur temps : vouloir créer de toutes pièces une armée afghane aux normes de l’Otan quand l’URSS voulait créer une armée afghane à l’image de l’Armée rouge. Dans un pays comme l’Afghanistan, ça ne pouvait pas fonctionner et ça n’a pas fonctionné. Il aurait été sans doute beaucoup plus judicieux de soutenir des forces locales engagées dans un combat à mains nues contre les talibans.

 

Les talibans ont affirmé le lundi 6 septembre avoir pris le contrôle de la vallée du Panshir. Ahmad Massoud, le dirigeant du Front national de résistance (FNR), a appelé chaque Afghan à “se soulever pour la dignité, la liberté et la prospérité” du pays. Le FNR a affirmé retenir des “positions stratégiques” dans la vallée et “continuer” la lutte. Que vous inspire cette situation ? Sur quelles forcent Ahmad Massoud pourra-t-il compter ?

Ahmad Massoud est le fils d’une figure légendaire, le commandant Massoud, engagé dans un combat sans merci contre les talibans et assassiné il y a vingt ans presque jour pour jour, le 10 septembre 2001, à la veille de l’attentat du World Trade Center. Mais les conditions sont différentes. Autrefois, son père luttait contre les Soviétiques, armé par la CIA via le Pakistan. Aujourd’hui, qui voudrait se hasarder dans une guerre civile à l’issue plus qu’incertaine ?

 

L’UE s’est engagée, mardi 31 août, à soutenir les pays voisins de l’Afghanistan pour accueillir dans la région les réfugiés afin d’éviter une vague migratoire en Europe. Un scénario similaire à l’accord migratoire avec la Turquie ? Quelles en sont les limites ?

L’idée est un peu la même effectivement que celle de l’accord de 2016 avec la Turquie qui visait à endiguer l’immigration syrienne. Mais les voisins de l’Afghanistan -le Pakistan, l’Iran ou le Tadjikistan- ne sont pas la Turquie, membre de l’Otan, et il sera bien plus difficile de nouer des accords viables avec eux. Par ailleurs, on ne peut pas parler d’exode massif du peuple afghan, d’autant que les frontières terrestres et aériennes sont étroitement contrôlées par les talibans. L’urgence, me semble-t-il, serait d’abord d’accueillir dignement les réfugiés afghans en France et en Europe et de mettre en place les conditions de leur intégration avec des cours de langue et la mobilisation des forces associatives et économiques.

 

Le retrait américain laisse le champ libre en Afghanistan. Plusieurs pays avancent leurs pions : Chine, Russie, Qatar, Iran… Demain, qui seront les alliés du régime afghan ?

Moscou s’inquiète de la contagion islamique. Les Chinois font les yeux doux aux talibans. Mais en recueilleront-ils les fruits ? En termes économiques, il est très difficile de faire du business dans un pays à feu à sang. L’Afghanistan dispose d’importantes réserves de lithium par exemple. C’est un métal très précieux pour la fabrication des batteries de nos téléphones portables ou de nos voitures électriques. Mais qui se risquerait à lancer de grands projets d’exploitation minière dans un pays aussi instable, enclavé, sans débouché maritime et pratiquement dénué d’infrastructures ferroviaires ?

 

Ces dernières semaines, les évacuations de ressortissants afghans et étrangers ont totalement dépendu de la logistique américaine. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a demandé, le jeudi 2 septembre, la création d’une force de réaction rapide européenne pour gagner en autonomie stratégique. Une proposition opportune ?

La création d’une armée européenne est une vieille lune. Mais sans politique étrangère commune, elle reste une chimère. Pour engager des soldats sous une même bannière, il faut des objectifs communs, parler d’une même voix. On en est encore loin.

 

Sera-t-il toujours possible d’informer sur l’Afghanistan ?

Le régime des talibans est un régime terroriste. Ceux qui sont au pouvoir à Kaboul aujourd’hui sont les mêmes que dans les années 90. Ces talibans ont beaucoup de sang afghan et étranger sur leurs mains. Ils ont commis d’innombrables attentats. Pour le moment, une poignée de journalistes étrangers continuent d’œuvrer à Kaboul. Mais il est impossible de dire ce qu’il adviendra. Les perspectives sont plutôt sombres.

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