Série noire.
L’assassinat de Peter R. de Vries vient s’ajouter à une série noire en Europe où le crime organisé représente désormais un danger majeur pour le journalisme*. L’Union européenne, qui échoue à protéger ses journalistes, doit tirer la leçon de cette nouvelle tragédie pour mieux protéger les journalistes face à la mafia qui va toujours plus loin, déclare le responsable du bureau UE/Balkans de RSF, Pavol Szalai.
Depuis mai 2018, le Club leur rend hommage en affichant dans ses locaux leurs photographies et leurs histoires.
Un hommage, et une marque de soutien aux journalistes subissant pressions et menaces, et qui ne peuvent plus pratiquer leur métier avec sérénité.
Et la nécessité d’alerter sur le recul de la liberté d’expression en Europe et de rappeler aux gouvernements leur responsabilité.
  • Peter R. de Vries a succombé à ses blessures, à Amsterdam ce 15 juillet 2021,
  • Giorgios Karaivaz a été assassiné à Athènes le 9 avril 2021,
  • Vadim Komarov a succombé à son passage à tabac, en Ukraine aux portes de l’UE en 2019,
  • Jan Kuciak a été assassinée en Slovaquie en 2018,
  • Daphne Caruana Galizia a été assassinée à Malte en 2017.

 

NOUS NE VOUS OUBLIONS PAS

PETER RUDOLF DE VRIES 14/11/56 – 15/07/2021

Le journaliste néerlandais spécialisé dans les affaires criminelles Peter R. De Vries, grièvement blessé par balles le 6 juillet 2021 à Amsterdam, est décédé de ses blessures le 15 juillet.

Âgé de 64 ans et jouissant d’une grande estime de ses pairs et du public néerlandais, Peter R. de Vries s’intéressait autant aux affaires récentes liées au crime organisé qu’à des dossiers plus anciens, ce qui en avait fait une cible privilégiée de ceux qu’il dérangeait.

Spécialiste de ces affaires depuis une quarantaine d’années, il avait gagné la confiance de certaines victimes de crimes dont il se faisait le porte-parole ou le conseiller. Il avait par exemple rempli le rôle de conseiller du principal témoin à charge dans l’affaire contre Ridouan Taghi, le criminel le plus recherché des Pays-Bas, soupçonné de diriger un réseau mafieux.

 

GIORGOS KARAÏVAZ 16/11/1968 – 9/04/2021

Giorgios Karaïvaz, célèbre journaliste d’investigation grec, spécialisé dans le reportage policier, a été tué par balles le 9 avril 2021 devant son domicile dans la banlieue d’Athènes. Il était connu en Grèce pour ses enquêtes sur le crime organisé, notamment pour la chaîne tv privée Star Channel (depuis 2017) et le blog bloko.gr qu’il avait fondé et qu’il dirigeait.

« Giorgos Karaïvaz enquêtait sur plusieurs affaires sensibles, dont l’arrestation de Dimitris Lignadis, l’ancien directeur du Théâtre national grec, soupçonné d’agressions sexuelles sur mineurs, l’évaluation de hauts gradés de la police, ou bien encore la controverse née d’une protection policière démesurée accordée à un présentateur de télévision. Rien ne permet cependant, pour l’heure, de déterminer les causes de sa mort. »

Il est le deuxième journaliste assassiné en Grèce depuis 12 ans. En 2010, le directeur de la radio privée Thema 98,9 FM Socrates Giolias, qui enquêtait sur la corruption, avait également été tué par balles devant sa maison.

 

VADYM KOMAROV x – 20/06/2019

Jeudi 20 juin 2019, le journaliste ukrainien Vadym Komarov est décédé des suites du violent passage à tabac dont il avait été victime le 4 mai à Tcherkassy, en Ukraine, aux portes de l’Union européenne.

L’homme dénonçait depuis plusieurs années des malversations lors des appels d’offres, l’état des routes, la situation des prisonniers, les pots-de-vin en lien avec les questions foncières et immobilières. Ses articles sur Facebook alimentaient les sites d’informations locales.

A Tcherkassy dans le centre de l’Ukraine, ce journaliste indépendant s’efforçait avec beaucoup de courage de dévoiler la collusion des élites politico-économiques des villes moyennes ukrainiennes et dénonçait la corruption locale.

Vadym Komarov avait déjà été victime de plusieurs tentatives de meurtre ces dernières années.

En Ukraine, cela porte à 12 le nombre de journalistes assassinés depuis 1992. La plus récente victime était Pavel Sheremet, assassiné dans une voiture piégée le 20 juillet 2016 à Kiev.

 

JAN KUCIAK  17/05/1990 – 21/02/2018

Ján Kuciak, 27 ans, et sa compagne ont été abattus de plusieurs balles à Veľká Mača, à 50 kilomètres de la capitale de la Slovaquie, Bratislava.

Ján Kuciak s’était spécialisé dans les enquêtes portant sur des affaires de fraude fiscale à grande échelle. Son dernier article portait d’ailleurs sur les activités de Marián Kočner, un entrepreneur slovaque controversé en raison de ses liens avec plusieurs responsables politiques.

Des manifestations, les plus importantes depuis la révolution de velours, avait alors rempli les rues pour réclamer la fin de la corruption et de la collusion entre parti au pouvoir et grosses fortunes aux activités mafieuses, sur lesquelles enquêtait Ján Kuciak au moment de sa mort.

Le Premier ministre Robert Fico y avait laissé son poste, mais le Smer, son parti d’obédience social-démocrate, s’était maintenu au pouvoir.

 

DAPHNE CARUANA GALIZIA 28/08/1964 – 16/10/2017

Daphne Caruana Galizia, avait travaillé comme chroniqueuse dans plusieurs médias maltais, dont The Sunday Times of Malta et The Malta Independent, mais c’est surtout par son blog très suivi, Running Commentary, qu’elle s’était fait connaître bien au-delà de son île.

Sur cet espace de liberté, elle avait révélé plusieurs affaires de corruption. Trafics illicites, avantages fiscaux pour les sociétés étrangères… elle traquait sans relâche ces malversations avec son fils Matthew, membre de Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).

Pionnière du journalisme d’investigation à Malte», selon les termes de la Commission européenne, Daphne Caruana Galizia jouissait d’une solide réputation auprès de ses confrères. A Malte mais aussi à l’étranger, comme le prouve sa place parmi les «28 personnalités qui font bouger l’Europe» dans le classement du magazine américain Politico.

 

Le crime organisé est soupçonné d’être à l’origine des assassinats de trois autres journalistes commis au sein de l’Union européenne ces quatre dernières années, dans des affaires où les autorités nationales peinent à rendre justice aux confrères et à la consoeur disparus de Peter R. de Vries. Le précédent journaliste abattu est le reporter grec spécialiste des affaires criminelles Giorgos Karaivaz, assassiné en plein jour le 9 avril dernier. Malgré les promesses du gouvernement d’engager des procédures “rapides et accélérées », l’enquête n’avance pas.

 

Le commanditaire de l’assassinat du journaliste d’investigation slovaque, Jan Kuciak, en février 2018 n’a toujours pas été condamné, la Cour suprême ayant seulement récemment annulé l’acquittement de première instance de Marian Kocner, cet entrepreneur accusé d’avoir ordonné le crime.

 

Plusieurs personnes sont soupconnées d’avoir commandité et perpétré en 2017 l’assassinat de Daphne Caruana Galizia qui enquêtait sur la corruption dans les hautes sphères de l’Etat. Mais un seul d’entre eux a été condamné jusqu’à présent. L’entrepreneur Yorgen Fenech, accusé d’avoir commandité l’explosion de la voiture de la journaliste, est en détention provisoire en attendant son procès qui ne commencera pas avant cet automne.

 

Dans le sud de l’Union européenne, les reporters font régulièrement l’objet des attaques de la mafia. En Italie, une vingtaine de journalistes vivent sous protection policière permanente ce qui ne les empêche pas d’être régulièrement visés :  la voiture du journaliste Fabio Buonofiglio a été totalement détruite par un incendie en Calabre en avril 2020, tandis que le reporter Michele Santagata a été pris en embuscade dans la ville de Cosenza dans la même région en septembre 2020. En Bulgarie, qui occupe le dernier rang au Classement mondial de la liberté de la presse parmi les pays de l’Union européenne, la situation n’est pas plus réjouissante et les attaques fréquentes : le journaliste d’investigation Slavi Angelov a été violemment frappé devant son domicile en mars 2020, et le commanditaire de cette attaque n’a toujours pas été identifié. RSF

 

Nous n’oublions pas les sept journalistes de Charlie Hebdo assassiné le 7 janvier 2015 à Paris, l’assassinat du journaliste grec Sokratis Giolias, abattu à l’arme automatique devant son domicile en 2010 et celui du Croate Ivo Pukanic, tué dans l’explosion de sa voiture devant les bureaux de son journal en 2008.
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