Après 20 ans en tant que journaliste pour l’AFP, Yann Ollivier a lancé en 2021 la cellule documentaire de Factstory, filiale de production audiovisuelle de l’AFP. Avec la réalisatrice Fanny Tondre, il a co-écrit « Le compromis – Dans les coulisses du pouvoirs ». Ce documentaire de 95 minutes, qu’il a co-produit avec Félicie Roblin de Zadig Productions, sera diffusé sur ARTE le 30 avril.

 

« Le compromis » raconte la genèse de la première loi européenne sur le devoir de vigilance. Les coulisses d’une des plus grandes batailles politiques pour replacer les grandes entreprises face à leurs responsabilités en matière de droits humains et d’environnement. Un film immersif porté par trois eurodéputées qui se sont battues pour défendre et négocier cette loi.

 

Comment est né votre duo avec Fanny Tondre, et ce projet ?

J’avais envie depuis longtemps de montrer qu’un vote au Parlement européen, avec sa ribambelle d’amendements, ça pouvait être empli de suspense…  De raconter les dessous d’une procédure législative européenne du point de vue des gens qui font la loi. Pour cela il fallait trouver la bonne loi, les bons protagonistes. Et en parallèle, trouver un réalisateur ou une réalisatrice qui ait la curiosité de se plonger dans ce milieu un peu froid d’apparence, avec de solides capacités de mise en confiance des protagonistes et le gout de filmer en immersion, de se fondre comme une petite souris dans les coulisses. Fanny était clairement désignée pour cela, j’avais beaucoup aimé son approche des clandestins chinois dans M. et Mme Zhang.

 

La particularité de ce documentaire est de suivre trois eurodéputées au travail mais aussi dans leurs vies personnelles. Une immersion dans le huis clos des réunions du Parlement européen et dans l’intimité des protagonistes. Comment votre présence a-t-elle été perçue au Parlement européen, et est-ce que les eurodéputées ont accepté d’emblée de jouer le jeu ?

Pas tout de suite, certaines plus rapidement que d’autres. Lara Wolters, la principale, nous a ouvert très grand ses portes. Une des premières séquences que nous avons pu tourner était une réunion interne du groupe Socialistes et Démocrates où ils ont parlé très franco des autres partis. C’est une séquence qui donne beaucoup de clés au spectateur, et elle nous a ouvert les portes pour d’autres séquences, ailleurs. Mais on peut le voir dans le film, nous n’avons pas eu les mêmes accès partout. Du côté de la droite et du centre, nous n’avons obtenu que très tardivement le droit de filmer, et encore juste le début d’une réunion. C’est vrai que ce n’est pas évident de laisser entrer une caméra, ou d’accepter de porter un micro-cravate. En tout cas nous n’avons jamais profité de ces accès exceptionnels pour filmer en caméra cachée.

 

Vous connaissez parfaitement les rouages du Parlement européen, qu’avez-vous découvert lors de la réalisation de ce documentaire ?

Je croyais les connaitre ! J’ai couvert le Parlement européen depuis 2005, entre Strasbourg et Bruxelles. Quand on est journaliste dans la bulle, on a l’habitude du off the record, on fréquente les sources assidûment en marge des briefings, on échange des messages whatsapp ou on va diner avec certaines d’entre elles et on croit connaître énormément de choses. Mais on s’arrête toujours au pas de la porte des réunions à huis clos. C’est même institutionnalisé, ça s’appelle le doorstep, c’est là où se pressent les caméras pour attraper au vol la petite phrase soigneusement préparée par les négociateurs. Mais c’est encore autre chose que de franchir littéralement la porte d’une réunion, de passer neuf heures à l’intérieur d’une salle de négos, avec des micros-cravate sur plusieurs participants. En fait, on a quasiment un effet 360 degrés, on entend l’une chuchoter à son assistant une question tandis que l’autre prend la parole au micro. On a une perception inégalée et inespérée de la réalité d’une négociation politique ! Pour moi c’était du jamais vu.

 

La loi européenne sur le devoir de vigilance devrait être votée en avril par la Parlement européen. Quelle sera sa portée ?

Il y avait déjà une loi en France, une autre en Allemagne, mais là on a pour la première fois une directive qui sera valable dans toute l’Europe. Elle concernera les entreprises européennes, mais également les entreprises étrangères actives en Europe comme Apple ou Shein. Elle impose la possibilité de sanctions allant jusqu’à 5% du chiffre d’affaires mondial du groupe en cas d’atteinte à l’environnement ou aux droits humains.

Au fil de la négociation, c’est le nombre d’entreprises concernées qui a fondu. On est parti de très loin pour arriver à relativement peu d’entreprises touchées par la loi : à peu près 5.400 selon les estimations d’ONG. Mais c’est une première historique, pour la première fois le droit européen dit que le respect des droits humains ne relève pas uniquement des États mais aussi des entreprises.

 

« Le Compromis » titre de votre documentaire est la grande spécificité du Parlement européen. A quelques jours des élections européennes pouvez-vous nous rappeler en quoi cela consiste ?

Le titre nous a paru d’emblée comme une évidence. Tous nos protagonistes ne parlaient que de ça. Et c’est au fond ce qui fait l’universalité du sujet du film. On comprend – et pour nous français, qui sommes beaucoup dans les antagonismes et la confrontation, ce n’est pas une culture politique évidente – à quel point on peut faire avancer les choses quand on accepte de s’asseoir à la même table que son adversaire politique. En Europe, compromis ne signifie pas compromission loin de là. C’est même la seule manière de poser des jalons, qui pourront toujours être améliorés à l’avenir. On en revient à cette question classique en politique : est-ce qu’il vaut mieux mettre de l’eau dans son vin et accepter une loi affaiblie, que pas de loi du tout ?

 

Le compromis – Dans les coulisses du pouvoir

De Fanny Tondre et Yann Ollivier
Réalisation Fanny Tondre / Co-production Factstory / Zadig Productions / ARTE G.E.I.E. / Avec le soutien du CNC, de la Région Grand Est et de l’Eurométropole de Strasbourg, de la Stiftung Menschenwürde und Arbeitsrecht, de la Procirep-Angoa et de la RTS.

Avant-première du documentaire (Diffusion ARTE : 30 avril) :
le mardi 23 avril à 18h30
au Lieu d’Europe, 8 rue Boecklin, la veille du vote définitif la loi au Parlement en plénière.
Une coopération ARTE, Club de la presse Strasbourg Europe, Science Po et les producteurs.
Sur inscription : reservations@zadigproductions.com

 

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