Le 1er décembre, Mediacités le journal en ligne d’investigation locale a fêté ses 5 ans.

L’occasion de faire un point d’étape avec son co-fondateur et directeur de la rédaction Jacques Trentesaux. Il répond à nos questions d’actu

 

 

 

Pouvez-vous nous rappeler comment est né Mediacités et quels ont été vos arbitrages en terme de cible, ligne éditoriale et business model ?

Merci tout d’abord pour l’intérêt que vous portez à Mediacités. Tout est parti d’un changement d’actionnaires du groupe L’Express où plusieurs d’entre nous travaillions. Ce fut le déclic pour oser créer un média en droite ligne avec ce que nous faisions au service Régions de L’Express, dont j’assurais la rédaction en chef : du journalisme fouillé sur les pouvoirs locaux. Mediacités, c’est un peu le décalque en version numérique des éditions locales – aujourd’hui disparues – de L’Express. On a tout de suite songé à un modèle payant d’abonnement car il est cohérent avec notre volonté de publier des investigations locales qui n’existent que trop peu en régions.

 

Vous avez débuté à Lille en 2016, puis les antennes Lyon, Toulouse, Nantes ont été ouvertes. Aujourd’hui, vous proposez un site unique, avec des onglets dédiés à chaque ville. Comment se compose et travaille la rédaction ?

Oui, nous ne sommes encore présents que sur quatre métropoles mais l’objectif demeure de nous implanter à terme dans toutes les grandes villes. Les équipes de journalistes vivent dans les villes couvertes. C’est indispensable pour sortir des scoops. Il y a en plus une coordination parisienne avec des profils non-journalistes (technique, marketing…). Chaque lundi à 10h, on réalise une conférence de rédaction en visio pour lancer la semaine.

 

Mediacités est un journal en ligne, avez-vous une stratégie de développement vidéo ou podcast ?

Nous venons de la presse écrite. Cette culture nous imprègne. On aime le choix des mots et prendre le temps d’enquêter et d’écrire. C’est la compétence de base pour l’investigation. Nous sommes aussi capables de réaliser des data-visualisations et de traiter des données. Mais, jusqu’à présent, nous n’avons pas sauté le pas d’un développement vidéo ou podcasts. On y viendra sans doute un jour afin de capter un public plus large. Mais ce n’est pas notre priorité.

 

Vos lecteurs ont la possibilité de vous envoyer des alertes, qui peuvent donner lieu à investigation et publication d’un article. Recevez-vous beaucoup d’alertes de ce type, quel est votre mode opératoire ?

Oui, nous en avons reçu environ 250 via la plateforme d’alertes sécurisée et anonymisée du site. Mais seule une minorité d’alertes est directement exploitable ou recouvre une dimension d’intérêt général (il y a beaucoup de délations…). Il s’ensuit un travail classique de vérification et de recoupement. C’est plus complexe pour nous quand on ne connaît pas l’identité de l’auteur de l’alerte mais, avec une peu de sueur et du temps, on finit toujours pas y arriver. Et puis, on nous sollicite aussi en direct par téléphone ou par le bon vieux courrier postal.

 

Envisagez-vous de vous déployer dans d’autres villes ?

Comme je vous le disais, l’objectif est de créer un réseau dans toutes les grandes villes. Toutefois, faute de moyens financiers suffisants, nous avons dû ajourner notre souhait d’ouvrir une 5e ville cette année. Mais ce n’est que partie remise!

 

Depuis le printemps dernier, une dizaine de sociétaires de Mediacités élabore des recommandations destinées à éclairer la transparence sur le travail de la rédaction. Elles feront l’objet de publications. Une pédagogie nécessaire pour reconquérir le public ?

Travailler ensemble, cela fait partie de la stratégie de reconquête d’un public qui n’a que peu confiance en nous. Dans certains journaux, on s’est trop éloignés des lecteurs au profit des annonceurs. On n’a pas assez écouté les lecteurs alors qu’ils ont beaucoup de choses à nous dire et aussi d’expertises à partager. Nous développons ainsi des enquêtes participatives dans notre rubrique #DansMaVille, comme dernièrement sur le thème « Se nourrir dans nos villes en 2021 ».

Tout est parti d’un vote de nos lecteurs (l’alimentation a été choisi de préférence à l’esthétique de nos villes ou aux déserts médicaux), puis d’un questionnaire (avec 515 réponses reçues), puis de rencontres en visio avec des lecteurs-experts. Mais nous cherchons à aller plus loin et proposons, comme vous l’indiquez dans votre question, à certains de nos sociétaires (c’est à dire de petits actionnaires qui ont rejoint la Société des Amis de Mediacités) de façonner avec nous le média. Trois groupes de travail ont été créés pour nous aider à avancer sur notre démarche éthique, sur la place des femmes dans l’équipe et dans nos colonnes ou encore sur la charte graphique du site (la présentation, la navigation, l’ortho-typographie…). Mediacités est, à ma connaissance, le média qui a poussé le plus loin cette démarche de co-construction avec son public.

 

5 ans après sa création et plus de 3000 articles plus tard, l’équilibre économique de Médiacités est encore fragile, quel est votre plan d’action pour y parvenir ?

Le marché de l’abonnement de presse est très difficile. Beaucoup de personnes refusent encore de payer pour de l’info numérique. Elles sont tellement inondées de « contenus » divers qu’elles ne voient pas pourquoi elles s’abonneraient à un journal en ligne. A nous de leur faire comprendre que cela peut valoir le coup d’investir 60 euros par an pour disposer d’enquêtes locales exclusives, approfondies, non partisanes et réalisées « cousues-main » par des professionnels. L’idéal, en somme, pour mieux appréhender son environnement et saisir les enjeux de sa ville. Et puis, je vous garantis qu’il n’est pas inutile de disposer d’un média d’investigation locale dans sa ville ! Ne serait-ce que pour éviter l’impunité totale dans laquelle glissent certains élus en poste depuis trop longtemps.

Peu à peu, l’idée se propage. Regardez : en septembre, nous avons lancé une campagne au ton alarmiste – « Si nous n’atteignons pas 2 000 abonnés supplémentaires d’ici la fin de l’année, nous ne pourrons pas poursuivre notre travail d’enquête en 2022 » – et le public a répondu présent puisqu’on s’approche du but. Il faut dire qu’entre les fake-news, le complotiste, l’absence de vrai débat public, il y a un sacré enjeu d’un bonne information à relever.

 

L’année 2022 sera Présidentielle, comment allez-vous décliner ce sujet en local ?

On ne peut rester absent de ce rendez-vous. Nous préparons donc une proposition éditoriale qui correspondra à nos valeurs : l’indépendance, l’exigence et l’humilité. Cela peut vous surprendre comme terme. Mais nous vivons vraiment Mediacités comme une aventure de presse qui promeut du journalisme de qualité, de révélation et de temps long au service exclusif de nos lecteurs.

 

Propos recueillis par Anka Wessang

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