Pierre France est journaliste fondateur et directeur de la publication Rue89 Strasbourg.
Le media indépendant créé en 2012 a terminé l’année 2020 avec un bilan positif et une progression de ses abonnés.

 

Les abonnements ont été multipliée par deux entre 2019 et 2020, comment expliquez vous cet accroissement ?

C’est vraiment difficile de l’expliquer, d’autant qu’on n’est pas en mesure de savoir exactement à partir de quel lien une personne s’est abonnée, en raison des limites de notre système de publication, encore très artisanal. Mais on peut légitimement soupçonner que c’est une combinaison entre la crise sanitaire, qui a redonné aux gens un peu de temps libre, notre politique éditoriale réservant les enquêtes aux abonnés et une tendance générale à la prise de conscience qu’un journalisme indépendant, ça se finance directement.  

 

Comment va évoluer l’offre destinée aux abonnés ?

On espère proposer un rythme d’enquêtes plus soutenu, mais avec une dizaine de journalistes, dont 4 permanents, pour des sujets qui peuvent prendre des mois de travail, on reste quand même avec une publication en flux tendu pour encore un moment. On a d’autres évolutions en planification, qui concernent toute notre offre éditoriale globale mais dans lesquelles nos abonnés bénéficieront de privilèges supplémentaires. De toutes façons, on cherche à garder l’idée d’une forme de soutien à notre démarche dans l’acte d’abonnement. Ce n’est pas juste une offre d’un service, c’est aussi une manière de s’engager pour la diversité de l’information vérifiée et indépendante en Alsace et à Strasbourg en particulier. 

 

Quel est le positionnement de Rue89 Strasbourg sur les audiences gratuites ?

On pense qu’il faut garder une large part de notre contenu accessible, c’est indispensable dans cet univers où se côtoient nombre d’informations pas vérifiées, pas contextualisées, montées en épingle parfois, voire carrément manipulatoires. Il y a des rumeurs qui circulent en permanence sur les réseaux sociaux, dont certaines sont malveillantes voire dangereuses. Certains partis politiques ont des armées de trolls prêts à inonder le web et les réseaux sociaux dès qu’ils estiment une actualité porteuse… En tant que média, on ne peut pas dire que tout ça ne nous concerne pas et se retrancher derrière un paywall. Il y a déjà un fossé informatif entre les classes sociales, on n’a pas envie de contribuer à le creuser. Donc oui, pour faire le lien avec la question précédente, s’abonner à Rue89 Strasbourg c’est aussi financer une partie de notre travail mis à la disposition de tous gratuitement.  

 

Est-ce que Rue89 Strasbourg prévoit de développer ses formats pour s’adapter aux nouveaux usages vidéo et audio ?

Rue89 Strasbourg propose depuis longtemps des vidéos et depuis plusieurs années des podcasts. Après, nous n’avons pas la structure suffisante pour produire des vidéos et des podcasts de manière régulière, industrielle, systématique. D’autant que le modèle économique de la production audiovisuelle, c’est souvent le partenariat or nous essayons d’éviter les formes de financement qui contournent la relation directe entre un éditeur et son lectorat. En résumé, on garde notre capacité à produire de la vidéo et des podcasts, avec la limite que ça doit s’insérer dans une logique éditoriale qui est vraiment notre seule boussole.

 

Depuis novembre 2020, Médiapart détient 22 % du capital de Medialab, société éditrice de Rue89Strasbourg. Mediapart détient aussi 11 % de Marsactu et 3,5 % de Mediacités. Quelle est votre stratégie de collaboration éditoriale avec Médiapart ?

On est très content que Médiapart ait accepté de rentrer dans notre capital. Ça fait partie de leur programme de soutien à la presse indépendante mais c’est aussi une forme de reconnaissance sur l’ensemble de notre travail depuis près de 10 ans. Médiapart est le vaisseau amiral de la presse d’information générale indépendante, un succès éditorial et économique qui nous inspire tous. Depuis que Médiapart est au capital, nous avons un partenariat éditorial en place, qui leur permet de reprendre certains de nos articles qui les intéressent, ce qui nous donne ponctuellement une audience nationale. C’est très important pour nous, parce que nombre d’articles que nous avons publiés n’ont pas eu l’écho qu’ils méritaient, du fait de notre relatif isolement par rapport à la sphère médiatique, toujours très parisienne. En outre, nous pouvons désormais collaborer avec les journalistes de Médiapart d’une manière plus directe, sur des sujets qui sont nationaux mais peuvent avoir des concrétisations locales. Plusieurs enquêtes conjointes sont déjà en cours. 

 

Rue89 Strasbourg affiche un bénéfice de 20 136 euros pour 2020, quels sont vos priorités de réinvestissement ?

Alors il ne faut pas prendre le bilan de l’année pour une indication de l’état de la trésorerie à ce jour. On n’est pas assis sur des dizaines de milliers d’euros. Ceci dit, on note que nos recettes ont progressé grâce aux abonnements et ce, de manière pérenne. Donc notre principal investissement est, comme toujours, dans le journalisme avec l’embauche d’une quatrième journaliste à temps plein, Maud de Carpentier. Un gros projet est en cours avec les autres Rue89 locaux, on espère le boucler en 2021. Mais je suis un gestionnaire prudent : Rue89 Strasbourg est toujours une entreprise fragile et nous avons encore besoin de beaucoup progresser sur nombre de petits segments de notre activité, comme par exemple la connaissance fine de notre audience et de nos abonnés, avant de lancer de gros programmes d’investissements. 

 

–> rue89strasbourg.com

 

Propos recueillis par Anka Wessang

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