J’ai rencontré Superman. Si, si, c’est pas une blague. Il était comme dans les BD de mon enfance : musclé, cheveux bruns, mais sans le petit slip rouge, le collant bleu, ni la cape. Comment ai-je pu le reconnaître ? Il y avait quelques indices, quelques traits hors du commun, indiquant  à coup sûr la présence d’un super-héro des temps modernes.

Tout d’abord, et cela dénote un incroyable super-pouvoir, il ne passait pas son temps le nez collé à son smartphone. Quand je l’ai rencontré, il marchait dans la rue avec assurance, le pas ferme et le regard franc. Il pensait passer incognito mais rares sont désormais les personnes installées dans le réel et je l’ai repéré d’emblée. La plupart de nos contemporains sont trop occupés à instagramer les heures, pour regarder les gens dans les yeux. Pas lui. Leur vie passe, vite, très vite, sous la lumière bleue des écrans : une vie pensée plutôt que vécue, une vie virtuelle plutôt qu’incarnée.

Sans portable mais avec le sourire, mon héros, lui, semblait conscient de chaque pas, de chaque geste, de chaque minute. Il avait pris cette voie hors du commun : oser se colleter aux difficultés de la vie plutôt que de fuir sur Internet à la moindre angoisse. D’où son assurance et son allure : elles étaient nourries aux épreuves traversées et à l’accueil, consenti, de sa propre vulnérabilité.

Superman profitait donc de ces moments arrachés à l’inutile pour contempler la vie… et tenter d’inverser le cours de l’Histoire. Je l’avais croisé à Paris, dans une manifestation organisée par Greenfaith  et Extinction Rebellion pour dénoncer le projet pétrolier de Total Energie en Afrique ( EACOP ). Je ne manifeste pas souvent mais là – là ! – impossible de rester les bras ballants. Détruire des milliers d’hectares de biodiversité, déplacer des villages entiers, assécher des étendues d’eau potable, envoyer les pelleteuses dans des parcs naturels protégés dans le seul but d’enrichir quelques individus sans scrupules, j’avais sauté illico dans le train pour interpeller le Crédit Agricole, dont la filiale, Amundi est l’un des grands financeurs de l’ensemble. Et nous étions là, au coeur de la ville, à tenter d’éveiller les consciences.

Superman était calme. Il répondait aux questions des journalistes avec précision. Dans l’effervescence ambiante, il s’était ancré dans le sol. On sentait qu’il connaissait la peur : du futur, des gens, des effondrements, de la crise financière, de la mort, de la maladie, de la souffrance… Mais on sentait aussi qu’il savait les apprivoiser. Son principal super-pouvoir était là : s’entraîner, chaque jour, avec ferveur, à vivre dans le moment présent. S’entraîner par la méditation, la prise de recul sur le bouillonnement de l’existence, l’extraction des emballements médiatiques, par une réflexion régulière sur le sens de la vie.

On a papoté un brin et on s’est donné rendez-vous pour la prochaine action de désobéissance civile contre le projet EACOP, fin mai. Puis, j’ai repris le train avec dans ma poche un peu de kryptonite.  Désormais, chaque fois que mes doigts serrent la pierre, je pense à Superman et retrouve confiance dans l’humanité. Je sais désormais qu’au coeur de l’absurde et du chaos du monde, des personnes veillent, héros-héroines invisibles, prêtes à relever le défi d’une nouvelle ontologie.

« Celui qui est maître de lui-même est plus grand que celui qui est le maître du monde. » – Bouddha

Kankyo Tannier
Auteure, nonne bouddhiste zen
dailyzen1@gmail.com

 

 

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