Thierry Mugler est né à Strasbourg en 1948. Dès ses 9 ans, il se singularise en pratiquant la danse classique et rejoint le Ballet de l’Opéra national du Rhin ou il découvre les métiers du théâtre. Après des études à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, il s’installe à Paris 1969. En 1973, il crée sa première collection et connaît un succès international. Créateur protéiforme et au talent exceptionnel, il a marqué de son empreinte le monde de la mode et du spectacle.

 

Marie-France Schmidlin, spécialiste des relations presse et relations publiques, a bien connu Thierry Mugler, elle a été son attachée de presse sur la région dans les années 90.

 

Marie-France, pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Thierry Mugler et comment a débuté votre collaboration ?

Effectivement, j’ai eu l’immense privilège de travailler pour Thierry Mugler pendant plusieurs années, à partir du lancement d’Angel, puis celui d’A*Men son parfum pour hommes, l’inauguration de sa première boutique en région à Strasbourg, les 20 ans de sa Maison de Couture..

 

Mon témoignage ne peut donc porter que sur cette décennie car au début des années 2000, il est parti aux Etats-Unis…

 

Thierry Mugler était avant tout un artiste et un créateur.  Aussi  il confiait toutes les autres tâches à ses équipes de sa Maison de Haute-Couture près des Halles à Paris et de sa Maison de Haute-Parfumerie à Neuilly. Ce sont ses équipes qui m’ont contactée.

 

Avant d’être adoubée, j’ai eu plusieurs entretiens téléphoniques. Comme j’avais fait mes études RP à Paris, nous avons immédiatement été en symbiose. Il a fallu aussi que je transmette plusieurs exemples de dossiers de presse que j’avais rédigés pour s’assurer de mes qualités rédactionnelles et enfin, j’ai été invitée à rencontrer ses équipes à Paris.

 

Ce qu’il faut savoir, c’est que pousser la porte de la Maison Mugler n’était en rien comparable à une entreprise lambda ! Vous entriez véritablement dans une autre dimension. Un univers créé en tout point par lui et à son image où tout était beauté, élégance, perfection, luxe, calme … Un monde dont il était le prince invisible mais omniprésent et omniscient …

 

Quand  j’ai enfin rencontré Thierry Mugler,  timidement  je me suis approchée de lui pour me présenter : « Bonjour Monsieur Mugler, vous ne savez pas qui je suis, mais … » Amusé, il m’a interrompue avec bienveillance : « Mais si, je sais très bien qui vous êtes, vous êtes Marie-France de Strasbourg ! Mes équipes n’arrêtent pas de me parler de vous ! »

 

J’avoue, qu’une personne de son importance me connaisse et me reconnaisse à la première vue, je n’en revenais pas ! Mais c’était ainsi avec lui, rien, jamais, n’était laissé au hasard…

 

On connaît sa démesure, sa créativité, mais qui était l’homme derrière le créateur ?

C’est une excellente question à laquelle il m’importe vraiment de répondre. Car effectivement si le styliste de génie, le créateur aux multiples talents, le metteur en scène de spectacles oniriques est connu du public, l’homme, lui l’est très peu…

 

A l’inverse de l’icône publique et de son univers exubérant, Thierry Mugler était un homme très discret, très réservé, très sensible, voire timide et introverti si on devait le comparer à Jean-Paul Gaultier ! D’ailleurs il a toujours mis en lumière son personnage public mais jamais sa vie privée.. Cela faisait aussi partie de son élégance morale.

 

Lui qui fréquentait les plus grandes stars du monde entier, sa modestie m’a toujours étonnée. Il était incroyablement à l’écoute de chacun, toujours dans le respect pour autrui, avec une patience et une bienveillance à toute épreuve.

 

Par exemple, lors de ses soirées événements à Strasbourg, ses soirées à lui, dont il était le centre, si certains de ses invités de marque avaient du retard, même un long retard, il les attendait patiemment avant de commencer, sans jamais s’énerver…

 

Il y avait aussi sa fidélité aux autres. Par exemple pour le lancement d’Angel j’avais entre autres missions d’offrir de sa part le grand flacon de parfum avec un bouquet de fleurs et un mot de sa main à une quinzaine de ses proches, dont Yvonne du restaurant de la rue du Sanglier. En déposant ces cadeaux à Yvonne, je lui ai demandé comment elle connaissait Thierry Mugler. C’est elle qui m’a raconté que quand il était étudiant aux Arts Décos, il aimait venir manger au restaurant mais qu’il n’avait pas toujours de quoi payer. Alors, il lui proposait de lui laisser ses livres en ‘’otage’’ jusqu’à ce qu’il puisse la régler. Ce qu’elle refusait bien sûr, lui rétorquant qu’il avait plus besoin de ses livres qu’elle ! Thierry Mugler ne l’a jamais oublié et à chaque fois qu’il revenait à Strasbourg, il allait manger chez elle … en payant, bien sûr !

 

Il a su comme personne sublimer  la femme, et le rendre puissante. Dans une interview pour Vogue en 2021 il a dit « ma mère, c’était une superstar, archi glamour, à l’opposé de l’Alsacienne typique ». A-t-elle était son icône absolue ? Etait-elle présente lors de ses évènements strasbourgeois ?

Oui, bien sur, sa mère et d’autres membres de sa famille étaient présents !

 

Assurément et il ne s’en cachait pas, sa mère a été son icône, son inspiratrice absolue, auprès de qui il s’est forgé cette idée, cette image de la femme libre et conquérante pour qui n’est rien n’est  impossible. Il en a fait son credo « la mesure c’est la démesure ! ».

 

Adolescent, c’est avec elle qu’il a appris à coudre à la machine et à confectionner ses propres vêtements, et ainsi faire ses premiers pas de styliste de mode. C’est aussi en pensant à elle qu’il a imaginé Angel, aux arômes et senteurs du marché de Noël de Strasbourg de son enfance. Il souhaitait créer « un parfum qu’un enfant aurait envie d’offrir à sa mère »

 

Thierry Mugler et les créateurs de sa génération (Montana, Jean-Paul Gauthier ou encore Alaia) incarnent l’insouciance, la liberté. Lui qui était dans une maitrise totale et un perfectionnisme absolu, brisait-il parfois l’armure ?

Plutôt que de briser l’armure je dirais qu’il était toujours égal à lui même en toutes circonstances.  Je ne l’ai jamais entendu critiquer qui que ce soit, jamais vu s’énerver, jamais entendu un mot plus haut que l’autre, jamais de stress … C‘était sa nature, son élégance et son besoin d’harmonie.  Et toutes ses équipes, de la Direction à l’ensemble de ses collaborateurs, fonctionnaient au diapason. Ce qui est bien différent de l’idée que l’on se fait habituellement du monde de la mode !

 

Et vous avez raison de parler de maitrise totale et de perfectionnisme absolu, c’est exactement ce qui caractérisait Thierry Mugler !

 

C’est ce qu’il recherchait pour chaque création qui portait son nom. Non seulement ses collections Haute-Couture ou ses défilés spectacles que tout le monde connaît, ou encore la conception de son parfum. Il s’impliquait en toute chose et cela, on le sait moins.

 

C’était un artiste complet, formé à l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg et qui intervenait avec talent dans toutes les disciplines.

 

Son étoile fétiche qui est son symbole, qui se décline sur ses collections de bijoux et orne sa ligne d’accessoires de mode, c’est lui qui l’a conçue et dessinée.

 

Les flacons de ses parfums, c’est aussi lui qui les a conçus et dessinés. Je me souviens que pour le grand modèle du flacon d’Angel, il a été à la recherche d’un maître-verrier capable d’inventer une technique spéciale pour que le cristal se répartisse de façon égale sur chaque branche de l’étoile et surtout pas au fond du flacon, comme les techniques habituelles le faisaient !

 

Par ailleurs, toutes les publicités que vous voyez dans la presse écrite ou à la télévision, c’est encore lui qui les a imaginées, story-boardées, mises en scène, supervisées et réalisées, aussi bien comme photographe ou réalisateur de films. La perfection et la beauté de ses images parlent d’elles mêmes et l’on y reconnait bien son style incomparable qui nous transporte dans son univers…

 

Pour finir par une anecdote sur son perfectionnisme : après l’inauguration de sa boutique à Strasbourg, il devait être 3 heures du matin et nous débriefions avec toute l’équipe. Soudain, je le vois se précipiter sur moi, main en avant. Un des trois boutons de mon tailleur était de travers …Il n’a pu s’empêcher de le réaligner avec les autres ! Il était vraiment toujours attentif au plus infime détail, parfois même invisible aux autres.

 

En 1992, vous travaillez avec lui pour le lancement de son premier parfum, Angel. Un succès phénoménal. Il avait mis beaucoup de lui-même – de son enfance – dans cette nouvelle fragrance, était-il inquiet de la manière dont, ce nouveau projet, allait-être accueilli ?

Créer un parfum à son nom était bien sûr un nouveau défi pour lui. D’autant plus que comme pour chacun de ses projets, il le murissait et le travaillait jusqu’à la perfection.  Mais il avait déjà une telle aura auprès du public qui attendait et s’arrachait toutes ses nouvelles créations que dès son lancement, avec ses fragrances gourmandes si novatrices, Angel s’est  immédiatement placé dans le trio de tête de ventes des parfums avec Chanel et Guerlain. De belles références !

 

Alors qu’il possédait des boutiques dans plusieurs capitales du monde, il a choisi d’inaugurer une boutique dans sa ville natale. Etait-il important pour lui d’être représenté à Strasbourg, sa ville natale ? Comment la société strasbourgeoise de cette époque le percevait-il ?  

Oui, ouvrir une boutique à son nom à Strasbourg, sa ville natale, avait une importance toute particulière pour lui. Il a attendu 20 ans pour le faire alors qu’il avait déjà des boutiques dans le monde entier. Et cela était volontaire de sa part. Cela relevait du défi, de la promesse qu’il s’était fait à lui-même 20 ans plus tôt.

 

Il faut se replonger dans l’époque de sa jeunesse où il a commencé à se confectionner ses propres vêtements, qui ont eu un certain succès auprès de son entourage. C’est alors qu’il a décidé de se lancer dans une carrière de styliste de mode et de créer ses premières collections. Mais dans l’esprit strasbourgeois conservateur des années 70, ses collections avant-gardistes n’ont pas su séduire le public qu’il espérait…

 

Déçu mais toujours confiant en son talent,  il a décidé de partir pour réussir à Paris. En se faisant la promesse qu’il reviendrait 20 ans plus tard à Strasbourg, en pleine gloire … et en limousine !

 

Fidèle à lui-même, c’est ce qu’il fit, point par point, même la limousine !

 

Il a aussi fait appel à vous, en 1995, pour le 20e anniversaire de sa carrière et pour lequel il a notamment organisé un défilé au Cirque d’Hiver. Comment cet homme avant-gardiste, souvent futuriste, regardait-il ses 20 ans de création ?

Pour le 20ème anniversaire de sa Maison de Couture, je suis intervenue sur la soirée de Strasbourg, au Cinéma Odyssée où ont été projetés une magnifique rétrospective de sa carrière et des extraits de ses sublimes défilés, devant les personnalités du ‘’tout-Strasbourg’’ qui lui ont fait une réelle ovation, debout et pendant de longues minutes d’applaudissements ! C’était incroyable !  Aussi, je parlerai plutôt de sa joie, de sa profonde émotion face à la reconnaissance unanime de son œuvre et de son talent par les Strasbourgeois et Strasbourgeoises.

 

Avez-vous un souvenir particulier avec cette icône, et que vous voulez-bien partager ?

Tout moment partagé avec Thierry Mugler était un espace-temps exceptionnel qui m’a profondément marquée !

 

Comme nous sommes au Club de la Presse, je vais vous parler de son contact avec les journalistes, lors de son retour à Strasbourg, ‘’20 ans après’’, pour l’inauguration de sa boutique.

 

Bien sur, dans la journée marathon qui s’annonçait, nous avions prévu des créneaux horaires dédiés à l’accueil des journalistes pour les interviews. Mais ce jour là, toutes les rédactions étaient mobilisées et toutes les journalistes voulaient le rencontrer personnellement. Je n’avais jamais eu autant de demandes et les créneaux ne suffisaient pas ! Qu’à cela ne tienne … Le plus simplement du monde, Thierry Mugler a embarqué une partie des journalistes dans sa limousine pour poursuivre les échanges pendant ses déplacements. Cela n’a pas suffit, j’avais toujours des demandes. A la fin de l’inauguration, alors qu’il avait prévu d’aller dîner ‘’Chez Yvonne’’ avec toute l’équipe, un peu inquiète, je lui en ai fait part. Tout naturellement, il m’a proposé d’inviter les derniers journalistes avec nous.

Et après s’être restauré, il a poursuivi les interviews avec la même patience, la même bienveillance. Il devait être 2 heures du matin quand il a fini … mais chaque journaliste a eu droit à son interview personnelle !

 

Propos recueillis par Anka Wessang

X