La pandémie de Covid-19 a lourdement touché l’Alsace, les médias étaient en première ligne. Adaptation, ligne éditoriale, stratégie RS, projets,
Daniel Grillon, directeur de France Bleu Alsace,
Dominique Jung, rédacteur en chef des DNA, et
Stéphanie Lafuente, rédactrice en chef de France 3 Alsace, ont accepté de répondre à nos questions.

Comment s’est passée votre adaptation au confinement ? Et comment ont réagi vos lecteurs, auditeurs et téléspectateurs ?

Daniel Grillon : Pour préserver la santé des salariés et assurer la continuité du service public de l’information locale nous avons pris la décision de nous organiser en multi locales dans le Grand Est, en mutualisant les 4 stations France Bleu Strasbourg, Nancy, Metz et Reims. Tous les collaborateurs étaient au rendez-vous pour donner avec rigueur les informationsdont nos auditeurs avaient besoin, et pour les accompagner dans ce confinement. La ligne éditoriale s’est adaptée aux circonstances et de nouvelles chroniques ont été programmées (« relance éco », « circuit-court » et « Côté culture comptez sur nous »).

 

Nous avons massivement déployé les moyens techniques nécessaires pour assurer une grande partie des antennes en télétravail. Des protocoles sanitaires strictes ont été mis en œuvre pour les équipes sur le terrain. Après une désinfection totale des locaux, les studios étaient partiellement occupés 2 jours par semaine, en alternance avec les 3 autres stations. Nous avons reçu beaucoup de messages encourageant de la part de nos auditeurs et visiblement cette ouverture multi locales a suscité un intérêt pour les autres territoires. Informer, écouter, divertir, rassurer mais aussi donner la parole, France Bleu Alsace a su jouer la carte de la proximité et de l’interaction, les auditeurs ont été très présents à l’antenne.

 

Dominique Jung : La fabrication d’un journal est une entreprise industrielle, avec une logistique lourde autour de l’imprimerie. La grande menace portait sur une éventuelle propagation de la maladie chez nos rotativistes, qui, par définition, n’étaient pas éligibles au télétravail. Pour se prémunir des effets d’une éventuelle mise en quarantaine (ou quatorzaine comme on l’a dit), nous n’avons utilisé qu’une des deux rotatives et créé des équipes distinctes, avec toujours les mêmes collègues. De cette façon si un membre d’une équipe des rotatives tombait malade et que ses collègues étaient confinés chez eux par précaution, le journal aurait néanmoins pu être imprimé par la seconde équipe.

 

L’autre grand impact, plus connu, est la chute de l’actualité. Pas de compétitions sportives, pas d’activités culturelles ou associatives, etc. Comme les DNA étaient configurées en quatre cahiers, dont un entièrement dédié aux sports et un autre à l’actualité locale, le découpage traditionnel du journal ne fonctionnait plus. C’est pourquoi, du 19 mars au 7 juin, nous avons présenté le journal en deux cahiers et rassemblé les pages locales selon un découpage départemental : une édition dans le Bas-Rhin, une édition dans le Haut-Rhin.

 

Les journalistes se sont répartis entre télétravail et maintien au bureau. Au siège et dans les agences, les postes de travail ont été répartis dans le maximum d’espace, afin de respecter les gestes barrières : par exemple quatre postes de travail dans un desk initialement prévu pour huit personnes, etc. Les réunions de rédaction se sont faites par Skype. Jean-Luc Aubrun, rédacteur en chef adjoint, et moi-même avons continué à diriger la rédaction, rue de la Nuée Bleue à Strasbourg, que ce soit pour la partie éditoriale ou pour les questions d’intendance (qui n’ont pas manqué).

 

La réaction de nos lecteurs : Beaucoup de compréhension de leur part, voire des félicitations. La sortie quotidienne du journal a été vue comme une performance (ce qui n’est pas faux). Ces félicitations s’adressaient aussi aux porteurs qui, chaque jour, assurent la distribution des DNA dans les boites aux lettres au petit matin. Quelques reproches nous sont parvenus début juin ; des lecteurs ont fait valoir que le déconfinement était intervenu le 11 mai et que nous étions toujours en éditions locales réduites. Mais ce n’était pas un argument solide: le 11 mai, rien n’a changé subitement. Toujours pas d’activités culturelles, associatives et sportives, etc. Après le 11 mai comme avant, nous ne pouvions pas inventer des événements qui n’existaient pas ! La reprise n’a commencé qu’à la mi-juin. A partir du mardi 9 juin, nous avons conçu trois éditions locales dans le Bas-Rhin (Bas-Rhin/nord, Bas-Rhin/sud, agglomération de Strasbourg) et deux éditions dans le Haut-Rhin (une autour de Colmar, l’autre autour de Mulhouse).

 

Stéphanie Lafuente : Dès le 17 mars, nous sommes passés en journal Grand Est, une édition d’infirmation quotidienne avec les reportages des 3 antennes du Grand Est : Alsace, Lorraine et Champagne Ardenne. Partout, le nombre d’équipes sur le terrain a été réduit afin de diminuer les risques sanitaires. En Alsace, nous sommes ainsi passés à 3 équipes par jour (1 dans le Haut-Rhin, 2 dans le Bas-Rhin) contre 8 à 9 en temps normal. La rédaction en chef des JT était assurée à tour de rôle par une des 3 antennes.

 

Editorialement, l’ensemble des reportages, sur l’antenne et sur internet, avaient trait au Covid. Nous avons évidemment couvert la propagation et le pic de la pandémie mais également ses conséquences économiques et sociales en mettant régulièrement en avant les initiatives et les solidarités. Régulièrement des interviews d’experts ont ponctué nos JT. En pratique, nous avons mis en place un protocole sanitaire pour les tournages et les montages afin de respecter les gestes barrières et permettre à nos équipes de couvrir l’actualité en toute sécurité. Les journalistes qui publient nos articles sur le web ont tous été mis en télétravail. Nous avons développé des entretiens via skype, que ce soit en direct ou dans les interviews enregistrées.

 

Quelle a été votre stratégie pour renforcer vos contenus digitaux et vous démarquer ?

DG : Nous avons massivement investi l’information web et atteint de très larges audiences.La rédaction de France Bleu Alsace a publié un article « direct coronavirus » quotidien, qui permettait de rendre compte de l’état de l’épidémie et de ses conséquences sur la vie quotidienne des Alsaciens. L’équipe web natio a tenu un « direct coronavirus » du 26 février au 2 juin.

 

De début mars au 22 avril, plus de 200 articles locaux consacrés au sujet ont été publiés sur francebleu.fr/alsace.

 

Mars a été un mois record avec une audience record pour France Bleu Alsace (de plus de 2 millions et demi de pages vues dans le mois).

 

DJ : Nous avons renforcé le desk web (qui est en contact permanent avec l’ensemble des journalistes des DNA) de façon à traiter au plus vite les informations locales, régionales et nationales liées à la crise sanitaire.
Dès le début du confinement, nous avons donné beaucoup de place à l’information-service, qui a aidé nos lecteurs à organiser leur quotidien. La « foire aux questions » que nous avons créée a fait circuler des informations et précisé des centaines de questions. Dans le même esprit, nous avons utilisé notre audience sur les réseaux sociaux en créant un groupe d’entraide ; il a rassemblé plus de 12 000 internautes.

 

Cette crise a suscité le développement de nouveaux formats et a renforcé le data journalisme en concevant des infographies dynamiques qui décrivaient l’évolution de la crise à partir de l’exploitation visuelle des statistiques sanitaires.

 

SF : Nous avons fortement renforcé les équipes sur le web. Proximité, vérification et enrichissement de nos contenus web associés au confinement, nous ont permis d’avoir des niveaux d’audience jamais atteints. Par exemple, entre mars et mi-avril nos pages France 3 Grand Est ont enregistré 9,3 millions de visites, soit en moyenne 300 000 visites par jour. C’est 200% de plus que le niveau habituel. Mais au-delà des audiences cela a aussi créé une dynamique nouvelle sur le web.

 

Pour nous démarquer, nous avons mis en place des tags spécifiques, des articles ciblés et en évolution constante au fil du confinement : des sujets anglés très news au début, des papiers solidarité, puis des sujets pour « prendre l’air » et tout le long, une galerie de portraits de ceux qui étaient « au front » pendant cette période.

 

Quels sont les premiers enseignements à retenir ?

DG : Je tiens à saluer le travail de nos équipes qui ont su réagir, s’adapter et maintenir l’effort sur la durée dans ce contexte inédit. Nous réfléchissons maintenant à pérenniser le meilleur de ces nouvelles pratiques.  Télétravail, interview par téléphone, cette expérience a démontré que l’engagement et la qualité de son étaient au rendez-vous. La radio peut être encore plus agile et réactive !

 

DJ : La pandémie a confirmé l’utilité de la presse régionale dans la vie quotidienne. Il ne s’agit pas simplement de diffuser un savoir général, mais aussi de donner des réponses précises aux lecteurs dont la vie était bouleversée. Prenons l’exemple de la frontière avec l’Allemagne et la Suisse : nos articles ont été très suivis parce que nous avons fait le point jour par jour et donné des informations qui étaient peu ou pas évoquées dans la presse nationale. Notre utilité a aussi été immédiatement lisible grâce à la fiche de sortie dérogatoire que nous avons publiée chaque jour dans les DNA pendant tout le confinement. Pour les lecteurs n’ayant pas d’imprimante à domicile, ce fut un service très apprécié.

 

Mais le journal régional est plus qu’un simple distributeur d’informations. Les DNA sont un support décisif pour maintenir les liens affectifs avec le territoire alsacien. En période de confinement, c’est encore plus précieux. Les articles qui ont montré la solidarité en actes ont aidé à garder le moral, à voir que tout ne sombrait pas malgré les intenses difficultés. Grâce aux DNA, les lecteurs confinés n’étaient pas des lecteurs coupés de tout ; l’environnement habituel continuait au ralenti, mais existait bel et bien.

 

SF : Nos équipes ont su s’adapter à une situation jamais vue avant, dans des délais très courts et malgré un contexte contraignant. Adapter leur manière de travailler sans se mettre en danger ni mettre leurs interlocuteurs en danger. Utiliser de nouveaux outils et de nouvelles méthodes de travail qui pourraient être pérennisés : les interviews via skype, le télétravail pour les journalistes qui travaillent sur le web, l’usage de la visioconférence pour permettre à un maximum de personnes de se réunir lors des sessions de travail (conférence de rédaction, prévisions). Enfin la complémentarité entre web et antenne a permis de donner une vision complète de la situation dans notre région.

 

Campagne des municipales sans contact, saison d’été sans événements culturels ni sportifs… comment s’organise votre couverture médiatique ?

DG : Pour les municipales, les journalistes de France Bleu Alsace ont procédé à la couverture rigoureuse et normale d’une campagne pourtant totalement hors norme ! Nous avons aussi proposé 3 rendez-vous inédits pour permettre à nos auditeurs de découvrir par une itv décalée la véritable personnalité des candidats à la mairie de Strasbourg.

 

Et nous avons organisé le tout premier grand débat politique réunissant les 3 candidat(e)s présents au second tour pour la mairie de Strasbourg.

 

La grille d’été invitera nos auditeurs à se changer les idées, notre radio généraliste et de proximité continuera à leur donner la parole et les accompagnera en musique, pour une radio de plaisirs tout en maintenant les grandes plages d’informations et nos chroniques « relance éco », « circuits courts » et « côté culture comptez sur nous ».

 

DJ : Nous avons préparé le journal daté du 29 juin comme nous avons préparé celui du 16 mars, avec les résultats et commentaires permettant de comprendre les enjeux locaux de ces municipales. Un débat avec les trois têtes de liste à Strasbourg a été organisé au siège des DNA, rue de la Nuée Bleue, avec nos collègues d’Alsace-20, en vue d’une diffusion conjointe sur notre site internet et chez Alsace-20, en partenariat avec Public-sénat. De cette manière, nous ne nous sommes pas contentés de relater les péripéties de la campagne, nous avons aidé l’électeur à prendre sa décision le 28 juin.

 

Pour une lecture délassante, nous publierons à partir du 5 juillet une BD inédite, en avant-première. Elle a pour cadre l’après-1945, avec des souvenirs de guerre, des détectives, des policiers qui serrent de près la pègre, etc. Décors d’époque, dans un style très narratif.

 

Par ailleurs, nous publierons plusieurs séries d’articles thématiques avec des sujets historiques, des idées de sorties en Alsace, des reportages, etc.

 

SF : Pour la campagne des municipales, nous avions pendant 9 jours, chaque soir à 18h, un débat. Les candidats ont tous répondu présents. En l’absence de réunion publique et après plus de 3 mois de pause électorale cela a permis de faire vivre la démocratie locale à l’antenne. Sur le web, chaque jour un papier avec les principaux points à retenir du débat était publié. Pour les 2 mois à venir, des « pages été » plus courtes que d’habitude vont être réalisées, elles seront communes aux 3 antennes et permettront de repartir à la découverte de l’Alsace et du Grand Est.

 

Innovation, projet ? Que nous réservez-vous pour la rentrée de septembre 2020 ?

DG : Le mot d’ordre de la rentrée sera DENSITÉ ! nous travaillons sur de nouveaux rendez-vous sur l’antenne de France Bleu Alsace et France Bleu Elsass.

 

Nous communiquerons sur le sujet en temps voulu bien sûr mais le mort d’ordre sera la densité/proximité 100% Alsace.

 

Nous sommes et restons une radio généraliste de proximité, la radio des alsaciens (qu’ils habitent en Alsace ou même à l’autre bout du monde pour les alsaciens nous écoutant aux 4 coins de la planète grâce au web).

 

Côté web justement nous allons encore élargir notre offre avec notamment une strétégie sur les podcasts.

 

Enfin la matinale de France Bleu Alsace sera diffusée en télévision sur France 3 Alsace, nous y travaillons avec les équipes, c’est un projet qui verra son aboutissement au cours de la saison 2020/2021.

 

DJ : Le 5 juin, les journaux du groupe EBRA (à Grenoble, Lyon, Dijon, Metz, Nancy, Strasbourg, Mulhouse) ont conçu une édition dédiée à l’environnement : circuits courts, déplacements fluides, lutte contre les pollutions, etc. Il s’agissait de faire connaître ce qui se fait région par région autour de cette thématique. L’initiative, très appréciée par les lecteurs, sera suivie, à compter de septembre, par un supplément mensuel dédié à la transition climatique et aux solutions qui émergent, parfois discrètement.

 

Nous réfléchissons par ailleurs, avec nos collègues de L’Alsace, à la reprise d’un rendez-vous rédactionnel en allemand qui poursuivra ce qui se faisait avant le 19 mars sous forme du cahier de huit pages rédigé en Hochdeutsch. Il s’adressera à la part de nos abonnés bilingues, attachés à la visibilité de la langue allemande en Alsace.

 

Nous allons également développer plus encore les nouveaux formats (audio, vidéo, data, interactifs…) pour proposer à nos lecteurs internautes un traitement attractif de l’information, avec toujours la même règle éditoriale, l’idée étant de soutenir le développement de l’abonnement numérique.

 

SF : Après cette période si particulière, la rentrée va redémarrer en douceur, la grille ne changera pas en septembre car le choix a été fait par France Télévisions de réserver les nouveautés pour la grille de janvier 2021, notamment pour les programmes. Concernant l’information, cela signifie au quotidien un retour à 11h50 de notre émission consacrée aux initiatives dans le Grand Est et dans les régions frontalières, suivie du journal de midi. Le soir c’est Rund Umnotre programme en alsacien qui ouvre la tranche info à 18h50 suivi du JT qui traitera bien entendu de l’actualité mais s’articulera également autour de dossiers de fond et d’invités.

 

Notre rubrique Un lieu des histoiresqui permet de découvrir chaque semaine un village ou un quartier à travers quatre reportages (du lundi au jeudi) devrait également revenir midi et soir dans le JT. Actualité, décryptage et proximité restent les priorités de nos journaux mais également de notre site. Sur le web les articles de fond alternent avec l’actu chaude, les infos pratiques ou insolites. Enfin nous développons des playlist sur youtube afin de mettre en avant certains de nos reportages diffusés dans les JT. Nos émissions Dimanche en politiqueAlsace et Europe reviendront également les dimanches matin.

 

Propos recueillis par Anka Wessang

Dominique Jung – © Franck Delhomme – DNA
Stéphanie Lafuente – © Philippe Dezempte

 

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