“Continuez à croire en l’Europe. Lorsque vous croyez en elle, vous croyez à ses valeurs, la paix et la démocratie.”

Dans la lumière douce d’un après-midi strasbourgeois, Teresa Anjinho nous accueille avec un “bonjour” marqué d’un accent portugais , une preuve de son adaptabilité linguistique. Son accent portugais caresse la langue européenne, le français, qu’elle apprivoise depuis peu. C’est donc en anglais, qu’elle préfère nous livrer ses pensées. Dans son bureau situé dans le bâtiment Winston Churchill, elle parle posément, chaque phrase réfléchit comme une promesse de confiance.

Un parcours marqué par l’Europe

Née à Coimbra (Portugal), Teresa Anjinho a grandi dans l’ombre bienveillante d’une mère diplômée en droit, pionnière dans un monde d’hommes, et sous le regard exigeant de professeurs qui lui ont transmis la passion du droit et le goût de la justice. L’Europe lui permet sa première ouverture culturelle lors d’un Erasmus à Rome, à une époque où partir étudier à l’étranger relevait encore de l’aventure. Là, elle découvre l’Europe dans sa diversité, l’importance d’oser sortir de sa zone de confort, de “se connecter au monde réel”, pour embrasser la complexité humaine et institutionnelle du continent.

De retour au Portugal, elle s’engage dans un master européen sur les droits humains et la démocratisation, un programme intense à Venise, qui la prépare à vingt ans de service public. C’est au poste d’adjointe au Médiateur du Portugal, durant cinq années marquées par la crise du Covid, qu’elle forge sa conception de l’équité : “Tout ce qui est légal n’est pas toujours juste, et tout ce qui est juste n’est pas toujours dans la loi.” Un apprentissage exigeant pour une juriste de formation, qui apprend à écouter les citoyens, à comprendre leurs frustrations et à chercher, au-delà du texte, l’esprit de la justice.

Teresa Anjinho est membre du comité de surveillance de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) outre ses fonctions d’ancienne médiatrice adjointe du Portugal, elle a également été secrétaire d’État à la Justice et députée au Portugal.

Le 27 février 2025, Teresa Anjinho a été élue Médiatrice européenne (Ombudswoman), elle succède à Emily O’Reilly.

L’ombudsman comme observatoire

Pour Teresa Anjinho, le rôle d’ombudswoman européenne est celui d’un observatoire “Nous sommes la vigie de l’État ou, dans mon cas, de l’institution européenne. Les citoyens viennent à nous, souvent sans connaître leurs droits, avec le sentiment d’avoir été traités injustement.”

Son bureau (75 personnes et quelques stagiaires), est un lieu de passage où se croisent les plaintes, les espoirs et les colères de l’Europe. Elle n’a pas le pouvoir d’imposer, mais celui d’influencer, de relier les institutions et les citoyens, de faire émerger des solutions là où les juristes sont limités par la loi.

Le soft power de son bureau est une faiblesse apparente, mais aussi une force, car elle permet d’agir avec souplesse, d’ouvrir des brèches dans les murs institutionnels, de réconcilier la théorie et la pratique.

“La méfiance engendre de mauvaises décisions”, confie-t-elle. Sa mission : restaurer la confiance, garantir la transparence, faire de la participation citoyenne une réalité et non un slogan.

Défis contemporains et stratégie

À l’heure où l’Union européenne élargit ses compétences – défense, environnement, digitalisation – Teresa Anjinho veille à ce que la transparence ne soit pas sacrifiée sur l’autel de l’efficacité. Elle choisit ses dossiers selon ses champs d’actions, mobilise une équipe soudée, tisse des partenariats avec les médiateurs nationaux, la société civile, les ONG, l’académie. Son mot d’ordre : “Mettre un visage sur l’institution” Rapprocher l’Europe de ceux qui la vivent, la contestent ou l’attendent. L’éducation, pour elle, est un pilier essentiel, formel et informel.

“Être européenne, c’est une part de mon identité”, affirme-t-elle. Elle veut transmettre cette conviction aux jeunes, leur rappeler que l’Europe est faite de ponts à franchir, de voix à faire entendre, de droits à conquérir.

Une femme, un modèle, une voix

Dans un univers longtemps dominé par les hommes, Teresa Anjinho trace sa route avec la force tranquille héritée de sa mère. Elle veut montrer à ses enfants, et à toutes les jeunes femmes, que tout est possible, même s’il faut parfois “pleurer, travailler dur, mais continuer à croire en ses idéaux”. Elle se souvient de ses échecs, de ses candidatures infructueuses, de ce jour où son fils lui a soufflé : “Si tu avais eu ce premier poste qui t’as fait tant pleurer, tu ne serais pas là aujourd’hui.” La résilience, dit-elle, est la clef.

Vision d’avenir

Sous sa houlette, le bureau du Médiateur européen a vu les plaintes liées à l’accès aux documents progresser de 40 %. Plus de travail pour le bureau, mais aussi une victoire pour la médiatrice, les citoyens sont de plus en plus demandeurs et donc de plus en plus impliqué et préoccupé par la notion d’injustice. Elle défend le droit à l’information comme un rempart contre la désinformation et le populisme. “On ne peut pas parler de participation démocratique sans garantir l’accès aux décisions”, martèle-t-elle.

Dans la lumière de Strasbourg, Teresa Anjinho incarne cette Europe attentive, exigeante et humaine, qui promet la possibilité d’un dialogue juste. “Rien n’est facile, mais tout est possible pour qui croit en la justice et en la force du collectif.” Un pont, fragile mais essentiel, entre les institutions et les citoyens.

 

      “Si elle était…”

Un mot dans sa langue natale ? “Saudade”, ce terme intraduisible qui porte en lui la nostalgie, la mélancolie, mais aussi une forme d’espoir doux-amer.

Un pays ? « Le Portugal, naturellement ». Pour ses racines, mais aussi pour son histoire faite d’exils et de résistances.

Un droit fondamental ? « Les droits des femmes, car tout commence par là”, affirme-t-elle avec conviction.

Un livre ? “Les bougies brûlent jusqu’au bout” de Sándor Márai, qu’elle a lu trois fois. Un roman sur le temps, la fidélité, et les silences.

Une figure historique ? « Dona Maria Ire », la reine oubliée. “Pas pour la politique, mais pour le destin des femmes, une part cachée de l’Histoire.”

 

Lucie Mauguin, stagiaire

 

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