Loup Espargilière est diplômé du CUEJ. Rédacteur en chef de « Vert, le media qui annonce la couleur » ce journaliste spécialiste des sujets environnementaux a écrit auparavant pour plusieurs titres dont le Monde, Mediapart, le Monde Diplomatique et les DNA.

 

Il y a un an, la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique était diffusée. Vert en est l’un des instigateurs, pouvez-vous nous rappeler comment est née cette initiative ?

On l’a publiée en septembre 2022, mais l’idée est née il y a un an, lors du deuxième anniversaire de Vert en mars 2022

Alors que j’étais jeune journaliste au service Région des Dernières nouvelles d’Alsace, j’avais été choqué du traitement de la crise des Gilets jaunes par certains grands médias. En allant sur le terrain, je ne reconnaissais pas du tout les hordes de poujadistes assoiffés de pétrole que j’avais découvert en allumant la télévision ou la radio. Au contraire, je découvrais des gens avec des aspiration d’égalité, de justice sociale, de démocratie, qui n’avaient souvent guère d’autre choix que de prendre leur voiture, faute d’alternatives. C’est la première fois que j’ai compris à quel point l’opposition entre écologie et social avait été créée artificiellement par une mesure politique – la taxe carbone – et un récit médiatique. Il m’avait aussi fallu beaucoup de temps pour être accepté par les Gilets jaunes; chez beaucoup d’entre eux, la rupture avec les médias était consommée.

Il y a un an, nous avons voulu réconcilier les citoyens avec leurs médias autour d’une meilleure information sur le climat; l’enjeu de notre temps. A l’occasion du deuxième anniversaire de Vert, en mars 2022, nous avons proposé à nos lecteurs de fabriquer ensemble un « manifeste pour une nouvelle écologie médiatique »; un texte à deux voix, dans lequel journalistes et citoyens prenaient des engagements pour améliorer le traitement médiatique des crises écologiques.

Puis, avec notre collègue Anne-Sophie Novel, nous avons monté un collectif d’une trentaine de journalistes de petits et grands médias (Vert, Socialter, Blast, Reporterre, Climax, France télévisions, etc.). Nous avons décidé de créer un texte à l’usage de la profession plus durable qu’un manifeste.

Pédagogie, greenwashing, formation, réponses à la crise… Pendant plusieurs mois, nous avons tenté d’aboutir au texte le plus équilibré possible pour identifier les manières qui nous semblaient les plus pertinentes de parler de tous les sujets à l’aune de l’urgence écologique. Car, comme nous l’avons écrit : L’écologie ne doit plus être cantonnée à une simple rubrique ; elle doit devenir un prisme au travers duquel considérer l’ensemble des sujets.

Depuis le lancement officiel en septembre 2022, près de 2000 journalistes l’ont signée à titre individuel, ainsi que plus de cent médias (dont 20 Minutes, Mediapart, RFI, France 24), la totalité des écoles de journalisme reconnues par la profession, des associations de journalistes, des syndicats, des boîtes de production, et j’en passe.

Quelques exemples d’initiatives éditoriales qui en découlent ?

La Charte a provoqué beaucoup de discussions notamment dans des rédactions qui ne l’ont pas signée. Plusieurs grands groupes, comme TF1, Ouest-France, Sud-Ouest ou France télévisions ont adopté des textes similaires dans les mois qui ont suivi. Aujourd’hui, on voit fleurir beaucoup de formats intéressants et innovants partout, comme le nouveau bulletin météo ET climat de France télévisions.

RFI et France 24, qui comptent parmi les signataires de la charte, ont mis en place un ambitieux plan de formation dans lequel j’interviens d’ailleurs avec ma collègue Juliette Quef et l’organisme spécialisé Samsa.fr. Pendant des sessions de deux à trois jours, leurs journalistes améliorent leur connaissance de tous les sujets liés au climat et à la biodiversité, interrogent leurs pratiques, et pensent de nouveaux formats. Presque toutes celles et tous ceux que nous avons rencontrés sont très motivés et ont la volonté sincère de changer leurs pratiques.

En ce moment, petits et grands médias rivalisent d’ingéniosité pour traiter autrement les actualités liées à l’écologie et c’est très rafraîchissant.

Donnerez-vous une suite à cette charte ? 

Nous faisons actuellement le bilan de ces premiers mois, avec un questionnaire envoyé aux signataires, et songeons aux suites à donner à la Charte avec les membres du collectif.

Vert a été lancé en 2020, vous célébrez actuellement les 3 ans de ce media. Entretiens, enquêtes, reportages, décryptage, etc. Vert fournit des chiffres, des définitions, des graphiques ou des conseils de lecture pour que chacune et chacun puisse disposer des bases afin de mieux se saisir des enjeux de la crise climatique et entrevoir des solutions

Comment se compose la rédaction de Vert ?

La rédaction compte 4 journalistes à plein temps, trois pigistes régulières, et un chargé de communautés.

Qui sont vos lecteurs et quel est votre modèle économique ?

Nous nous adressons à la fois à des personnes déjà convaincues et expertes, mais aussi (et peut-être surtout), avec nos formats courts et beaucoup de pédagogie, à toutes celles et ceux qui savent qu’il y a un problème mais qui n’ont pas les clefs pour tout comprendre. Outre un lectorat « classique » pour un titre sur l’écologie (personnes engagées dans des associations, ingénieurs, etc.), nous sommes très lus par des journalistes et des professeurs; des passeurs de savoirs et d’informations qui trouvent dans Vert une manière facile de comprendre et d’expliquer des phénomènes extrêmement complexes.

Vert est un média 100% indépendant, financé presque entièrement par les dons de particuliers, ainsi que par la formation de journalistes.

Du lundi au vendredi vous envoyez une newsletter quotidienne à vos abonnés. Quel est son contenu ?

Vert, c’est un petit journal quotidien qui permet de s’informer sur tous les sujets liés à l’écologie en 7 minutes de lecture. Au menu, des articles courts, des brèves, des infographies et des dessins, et beaucoup de jeux de mots – histoire de garder notre moral ainsi que celui de nos lectrices et lecteurs. La dernière choses dont nous ayons besoin aujourd’hui, c’est d’une population sidérée par la brutalité des informations et qui se coupe de l’actualité. Par ailleurs, nous enquêtons sur les meilleurs leviers à toutes les échelles, et nous donnons ainsi des perspectives à un lectorat à la recherche de manières d’agir pour remédier à la crise climatique.

Vous êtes très actif sur les réseaux, avec un ton résolument décalé, est-ce la solution pour faire passer les infos primordiales sur l’urgence climatique ?

Plutôt que d’essayer de faire rentrer au chausse-pied des articles de Vert dans des posts sur les réseaux, nous faisons un vrai effort pour tenter de parler la langue d’Instagram et Linkedin, où nous sommes très actifs. Les réseaux sont des arènes où les médias doivent mener la véritable lutte contre la désinformation, sur le climat comme sur beaucoup d’autres sujets. Nous y manions l’humour, mais surtout la pédagogie, notamment avec beaucoup d’infographies, qui permettent d’outiller le public en lui expliquant les bonnes données et les bons ordres de grandeur et de débunker beaucoup d’idées reçues sur tous les sujets. Qu’il s’agisse des nombreux labels « écolos » qui peuplent nos étiquettes, ou de notre ministre de l’énergie, qui laisse accroire qu’envoyer des e-mails rigolos serait problématique pour le climat (alors que c’est parfaitement anecdotique).

Nous avons d’ailleurs lancé une série de posters sur les ordres de grandeur de tous les sujets liés à l’écologie pour que tout le monde ait enfin les bases sur les gaz à effet de serre, l’énergie, l’alimentation, et j’en passe, afin de ne plus se laisser berner par la langue de bois ou le greenwashing. Nous avons récolté plus de 50 000 € de dons pour réaliser cette série, preuve qu’il y en avait bien besoin.

Le Top 3 des articles de Vert qui ont eu la plus grosse audience ?

-> Un guide qui présente 7 techniques low tech pour refroidir son logement pendant les vagues de chaleur

-> Un article qui explique comment interdire son terrain aux chasseurs

-> Notre décryptage du dernier rapport du GIEC

Loup Espargilière vous animez aussi des formations pour mieux comprendre les enjeux du dérèglement climatique. A qui s’adressent ces formations et pourquoi ?

Ces formations s’adressent à tous les journalistes de tous médias et de toutes spécialités. Nous travaillons avec des confrères et consoeurs de la télévision, la radio et la presse écrite, locale comme nationale. Notre but, c’est de les faire monter en compétences sur le climat, mieux en comprendre les causes et les conséquences, les ordres de grandeur, les échelles de temps, savoir faire la différence entre un kilogramme et une tonne de CO2, et j’en passe. Nous passons en revue des traitements problématiques de sujets liés à l’écologie, et nous les laissons interroger leurs pratiques, questionner le vocabulaire et les images employés, les sources utilisées.

Au bout de cette formation, elles et ils repartent mieux outillés, capables de proposer des sujets plus en phase avec la gravité de la crise et les attentes grandissantes du public.

 

– Le 6e rapport du GIEC vient de paraître. Pour permettre de comprendre quelles solutions promettent d’avoir le plus grand impact sur le climat, Vert a synthétisé le rapport 2022 dans un seul poster, relu et vérifié par des scientifiques. En accès gratuit

Vert, le media qui annonce la couleur

 

©Alexandre Biville/Vert

Propos recueillis par Anka Wessang

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